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Presque...

17 septembre 1958 (Julie a plus de 24 ans)

Je ne sais pas ce qui m’arrive. Depuis hier, tout m’est si indifférent, le monde paraît gris. J’ai mal au ventre. Je n'ai plus envie de rien, je ne veux voir personne. Comme si un brouillard noyait tout ce que je fais. Même mes recherches, pourtant je les aime et je les fais avec plaisir. Hier, je ne savais pas encore ce que je ferais, mais ce matin j'ai enfin trouvé et je l'ai aussitôt réalisé, en mettant en route une nouvelle expérience.

Je crois qu’aujourd’hui, je ne pourrais même pas être malheureuse.

La ruse bien, par exemple, mardi à l’institut, pour faire connaissance avec George je me suis promenée avec une brosse devant la porte de son laboratoire. Aujourd’hui même George ne m’intéresse pas. Ni même quand Ilan m’ait rappelée, pourtant c’est agréable qu’il ait pensé à moi.

À ne pas parler de Sandou. Je n'arrive plus à me comprendre.

D'abord c'est étrange que sur Sandou je n'ai pas réussi à écrire, je n'ai pas eu envie d’écrire. Ni, après avoir été à l’appartement de sa sœur et ce qui est arrivé là‑bas [1], après quoi pendant quelques jours, il venait et revenait tout le temps dans mes pensées. Je me disais pourtant : je ne vais pas t’appeler. À ne pas parler, non plus, de la semaine après qu'il m'ait embrassée la première fois, quand je n'ai pas réussi pratiquement à penser à rien d'autre.

Ni de ce dernier dimanche quand j'ai voulu moi aussi, et j'ai presque fait l'apprentissage.

Quelle bonne sensation de pouvoir avoir confiance en quelqu'un qui ne le réclame pas - au contraire, ça ne lui vient même pas à l'esprit. Pour quelqu’un du dehors, ça aurait été très suspect : jusqu'à quatre heures et demie du matin, seuls nous nous sommes embrassés sur le lit sans lumière... et c'est tout ? Et pourtant, je me souviens même de son mouvement quand il a tiré et remis en place mon pull un peu remonté dans mon dos.

Enfin quelqu'un qui me voit belle.

Enfin quelqu'un que j’embrasse aussi.

Mais est-ce que ça m'a plu ? Était-ce seulement par curiosité, apprentissage ? Ce n’est pas possible ! Je l'ai désiré autant que lui. Après que mes lèvres ne me brûlent plus, je me suis dit que peut-être je ne suis pas assez sensible. Alors pourquoi ai-je continué, encore et encore; et je l’ai embrassé moi aussi.

J'ai appris aussi que la pièce de théâtre qui parlait du parfum des baisers secrets et du premier baiser et du dernier baiser, avait raison. Ils valent plus que les autres. Je n'arrive plus à me souvenir de tout, seulement de quelques détails, mais c'était vraiment agréable. Il ne m'en est pas resté un bon arrière-goût, mais pas un mauvais non-plus. J'en aurais eu trop ? Je ne comprends pas. Et hier, quand il m'a embrassée ça ne me plaisait plus du tout et j'étais tout à fait incapable de lui rendre ses baisers. Je n'avais d’autre souhait que de nous séparer et me coucher, dormir.

C'est aussi vrai qu'hier, l’acteur principal m'avait ennuyée à mourir et que j'avais sommeil déjà au théâtre. Pourtant en revenant, le geste de Sandou m'a touchée (il a jeté sa cigarette tout de suite après mon observation sur le goût de sa bouche) mais...

Demain Eugène va passer me voir et vendredi, je rencontrerai Ilan. Mais tout m'est si indifférent. Je devrais me faire coiffer, demain. Pourquoi pas aujourd’hui ? Je crois que j’ai quand même un problème avec mon ventre. Est-ce possible que je ne puisse plus supporter Sandou ? Je n'étais pas amoureuse dès le début, mais sentir une répulsion, ce n’est jamais arrivé jusqu’ici. Malgré tout, je viens de lui donner un rendez-vous. Pourquoi ? Qu’arrivera-t-il de nous ? Je sais me taire, mais mentir non.


[1] Nous avons regardé le feu de la cheminée, tout nus, sans nous toucher: Sandou a tenu parole.

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