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Trember à la vue d'une main

18 mai 1953

J’ai rencontré le premier garçon à 10 ans. C’était surtout moi qui lui plaisais, mais il me plaisait aussi, et flattait ma confiance. C’était à Obecse. Un dimanche après-midi il est venu me chercher, et nous nous sommes promenés de haut en bas de la longue rue centrale. Une autre fois, il m’a présentée à sa mère et m’a promis de me prêter des livres. Il devait avoir entre 14 et 15 ans, puisqu’il était au lycée en 4e. Je ne me rappelle plus son nom, ni son apparence exactement. Il était mince, bronzé, musclé et avait des yeux intelligents et chauds. La dernière fois, il était entre des gendarmes parce qu’il avait nagé plus loin que la moitié de la Tisza, alors fleuve frontière. Non, nous nous sommes rencontrés encore une fois dans la rue quand je me préparais déjà à repartir pour Budapest.

Le deuxième garçon par qui j’étais attirée était Moise. Pendant trois ans au lycée, j’étais persuadée qu’il était le meilleur, le plus... de toute l’école et je m’arrangeais pour être toujours dans la même classe et au même stage que lui. Pendant un ou deux mois après la fin d’école j’étais folle de lui et Alina. [Lui a dit à un bal. Il m’a invitée à danser et m’a serrée trop près me dégoûtant subitement.] Depuis je suis étonnée : comment ai-je pu être entichée aussi longtemps, si folle de lui ?

Pendant notre dernier stage avant la fin d’école, Fred m’a plu, mais il sortait avec Alma, ainsi ce sentiment n’a duré que fort peu de temps (et les autres aussi c’était seulement de loin, en pensée.) Puis un garçon de 3e année de Droit m’a plu à la piscine, c’est lui qui m’a appris comment bien plonger. Une fois, je crois qu’il aurait voulu même me raccompagner après la piscine, mais Édith se dépêchait et j’avais honte de lui demander d’attendre, je suis partie avec elle. Je l’ai revu de loin à la piscine encore deux fois et c’est tout.

Et maintenant, je suis devenue folle!

Cet envoûtement m’a prise à la gorge d’un coup, en apercevant ses mains, ses doigts fins et minces. Bien sûr, ce n’était pas le plus important mais c’était ce qui a tout déclenché. Pendant deux jours, j’étais toute bouleversée, je me suis un peu tranquillisée quand je l’ai revu. Dieu sait ce que ce sera, ce qui arrivera. De toute façon, rien de sérieux n’en sortira. Je ne sais même pas s’il n’est pas marié. Il peut même avoir des enfants (mais je ne le crois pas). Et sinon, il doit aimer quelqu’un, il est sûrement amoureux. De toute façon on n’aura rien entre nous. Surtout à cause de ma nature.

Malgré tout, je n’ai pas résisté aujourd’hui et je suis allée lui parler. Il est sympa avec moi et il me plaît. Mais je crois que c’est tout. Pourquoi pas, il est intelligent et sait énormément de choses, la chimie et la science l’attirent. Il connaît aussi des langues, le Russe et je crois aussi l’Anglais, peut-être même le Français. Aujourd’hui, il m’a demandé si je savais lire en russe et en anglais. Non. Alors, comment vas-tu lire la littérature chimique étrangère ? Apprends-les ! C’est facile à dire, ai?je le temps ? Jusqu’à maintenant, je n’en avais pas envie, non plus. Je crois que mercredi, il m’interrogera en classe. Il enseigne bien. Il est sévère et en même temps proche des élèves, un bon professeur. (Déjà, le deuxième gros, celui de la piscine était aussi rond)

Aujourd’hui j’ai bien nagé ! 1000 mètres (30 fois 33 m), pendant 200 mètres seulement les pieds et le reste en brasse normale. L’eau était fort bonne ! Mon corps se sent si bien après l’effort. Il ne faut pas que j’oublie demain midi ma première leçon de gym avec l’amie de maman.

Samedi, je vais au travail volontaire. Mercredi et samedi de midi à une heure, j’aide en technologie deux nouvelles élèves, mercredi et vendredi soir natation. En plus, cette semaine je dois finir le fascicule trois de la géométrie descriptive et le thème pour le contrôle de russe. Je voudrais aller voir une pièce demain soir et vendredi un film.

Oh, que je voudrais rencontrer Alina, même si c’était seulement pour quelques minutes ! Pourquoi je l’aime tant ? Je l’aime. Beaucoup plus que Vera à qui je n’écris même plus. Je dois aussi répondre aux lettres de Marthe, elle a de la chance d’avoir trouvé un bon ami. Quand en aurai-je, moi aussi ? Bien sûr, elle a une meilleure nature que moi. C’est intéressant comme j’apprécie chez les autres les traits qui me manquent mais que je voudrais avoir. Nora a des idées intelligentes, mais elles ne marcheront pas pour moi, seulement pour une fille rusée. Édith est aussi coquette (à propos, elle a bien réussi ses examens). Je suis en retard avec la physique et le marxisme. Oh, que ce serait bien d’avoir trois semaines libres pendant le festival de la jeunesse !

Parmi les garçons qui ont commencé à me courtiser jusqu’ici pas un seul ne m’a vraiment plu. On ne peut pas me prendre trop rapidement. Seulement insensiblement, sans que je me rende compte. D’abord ainsi, et puis un peu plus... Et je préférais encore ceux qui n’ont même pas fait attention à moi.

Ce serait mon sort ? Non !!! Il faudrait seulement attendre un peu encore. Mais je suis impatiente. Je désire un bras fort et, peut-être même, un baiser. Je n’ai reçu qu’un seul baiser qui m’a laissé un très mauvais souvenir. (Tu te souviens Julie ? Tu avais 9 ans, un garçon inconnu t’a embrassée dans la rue, puis il s’est enfui...) Il y a tellement d’années et depuis… rien. Pourtant j’ai déjà presque 19 ans.

Bonne nuit mon journal, onze heures viennent de sonner, je dois dormir.

23 mai 1953

Je me suis désenchantée, finalement assez vite. C’est mieux ainsi. Il est égoïste et il n’aurait pas mérité que je perde du temps avec lui, même dans mes fantasmes. Ce n’était même pas la peine d’écrire à son sujet.

Aujourd’hui je suis allée avec maman au parc Staline, nous nous sommes promenées une heure en canot. Que le lac est beau et ses environs aussi, avec ses saules tombant jusqu’à l’eau, le vent faisant chuchoter les arbres, le bruit des vagues cognant sur les rives. Il faisait ni trop chaud, ni trop froid, à Bucarest, il n’y a qu’environ trente jours aussi beaux dans l’année. Mais déjà ils valent la peine de venir ! Les roses ont commencé à fleurir, elles embaument l’air. J’ai eu tant de plaisir avec cette promenade !

Comme il pourrait être bon de se promener dans un endroit pareil avec son amoureux, pensais-je et je l’ai même dit à maman.

“ Tu es heureuse, tout cela est encore devant toi ! ” m’a-t-elle répondu.

J’ai lu un livre intéressant, Ivan Ivanovici de Antonina Copteava. Combien elle a raison ! Si je me marie, je voudrais que chaque soir nous racontions l’un à l’autre ce qui s’est passé dans la journée pour chacun de nous, si déjà nous n’avions pas la chance de travailler ensemble. Quelle sorte d’amour : le matin les deux partent, le soir ils reviennent, dorment ensemble, échangent un ou deux mots et c’est tout. Quelqu’un a écrit que le grand amour consiste à aimer, à se soucier de l’autre. Cela devra être ainsi !

Dans la vie, c’est souvent comme dans ce livre, à la fin deux deviennent heureux et les trois autres non, souvent les gens s’aiment en chaîne, moi lui, lui une autre, celle-ci un troisième, etc.

29 mai, 53

J’ai honte de ne pas avoir écrit depuis si longtemps. Chaque soir, avant mon bain je décide que ce soir, j’écrirai. Je me suis habituée à laver mes dents deux fois par jour, mettre de la crème sur ma peau chaque soir, mais je dois m’occuper davantage de mes cheveux. Je n’ai pas écrit, non parce que je n’aurais pas eu de sujet, j’en ai énormément, mais je suis fatiguée ou j’oublie. Oh, je me rends compte que j’ai fait comme si j’écrivais une lettre et je n’avais rien à dire et alors, les trois quarts de mon texte consistent à demander pardon de n’avoir pas écrit depuis si longtemps. Assez !

Cette semaine, ma vie a été mouvementée, elle était très pleine, sans une seule après-midi libre.
Lundi matin école, après-midi dentiste puis étude de la chimie physique. Mardi école, Alina aurait dû venir mais elle n’a pas pu, Tina est passée et nous nous sommes préparées pour la thèse de chimie physique du lendemain. Mercredi école, après-midi de 6 à 8 natation, et le soir de 9 à 10 Math à l’université. Jeudi école, puis travaux de laboratoire de chimie physique à l’école de l’Antibiotique. L’expérimentation a bien réussi mais le directeur n’a pas de tact et m’a mise dans une position fort inconfortable, disant devant moi à l’enseignant (oui, le même) que je suis une des meilleures élèves de l’école.

Vendredi, c’est maintenant, après l’école on a eu une réunion (chapitre trop douloureux) puis de 3 à 4 natation, ensuite de 4 à 8 laboratoire de chimie organique à l’université. Il aurait fallu aller ensuite au séminaire de math, mais je n’y suis pas allée parce que notre enseignant est malade et je ne supporte pas son remplaçant, je préfère écrire.

Demain, après l’école, je vais me faire couper les cheveux, puis j’irai au travail volontaire et à 8 heures de soir, si je ne suis pas trop fatiguée, je vais assister à la compétition de natation. Ce dimanche on doit aller à l’université seulement à dix. J’aurais voulu acheter des billets de théâtre pour l’après-midi, je n’en ai pas trouvé.

C’est ainsi que s’est passée en gros la dernière semaine. Entre-temps, j’ai fini le 1er thème russe pour le contrôle et je me suis arrangée pour recevoir le 2e lundi.

Malgré tout, ce n’était pas une semaine agréable. Elle était pleine mais pas agréable. Pas mauvaise non plus.

Il y a trois semaines, j’ai eu sept très bons jours. Alors, je ne les ai pas passés non plus avec rien, mais j’avais eu le temps d’étudier davantage, j’avais nagé et je suis allée au cinéma et je ne sentais pas le poids : “ aujourd’hui je dois faire ceci ou cela ”, je faisais ce que je voulais. Mais j’avais l’envie et l’énergie d’étudier beaucoup et la Géométrie Descriptive me paraissait intéressante.

J’ai l’intention de terminer d’ici à mardi les deux leçons de russe, mercredi je les recopie et puis jusqu’à la fin de la semaine je finirai la moitié de mon deuxième devoir de Chimie. (On nous les envoie l’un après l’autre de l’Université par Correspondance.) L’autre partie sera faite par Tina puis nous échangeons. Que puis-je faire, j’ai si peu de temps. Bien sûr, je le corrigerai, agrandirai ou changerai mais ceci me prendra moins de temps.

Demain, on va nous donner probablement une thèse surprise de Marxisme. Je vais me préparer le matin de 6 à 7 1/2, c’est à ce moment que ma tête retient le mieux.

Mais maintenant je vais essayer de dormir, j’ai besoin de huit heures de sommeil. Ce serait bien de m’habituer à ne dormir que 6 à 7 heures, mais alors je suis ensommeillée toute la journée et en plus, abattue. Bonne nuit, mon cher journal.

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