25 août 1958
J’ai vraiment trop peu de précaution de mes affaires, si j’avais dû me battre pour l'argent, je serais devenue probablement beaucoup plus matérialiste. Hier, j'ai perdu mon collier d'or porté depuis 15 ans (pourtant je faisais attention à ceux qui étaient autour de moi dans l’église), et aujourd’hui, je viens de casser ma montre. Et je ne suis pas vraiment affolée. Je le regrette, mais pas autant qu'il le faudrait.
En réalité je tourne autour du pot, je n'arrive pas à entrer dans le vif du sujet. Je me décide difficilement à en parler. Pourtant il faudra le décrire. Déjà depuis plusieurs jours j'ai voulu écrire au sujet de Sandou. Et depuis encore plus longtemps j'attendais qu'enfin - il m'embrasse.
Mon Dieu, je suis avec le baiser comme...
Comment le dire ?
J’ai envie d’en recevoir, mais quand il arrive, hélas, il ne me plaît jamais. Est-ce parce que ceux qui m’ont embrassé, ne savent pas comment le faire ? Il faudra que j'essaie avec quelqu'un qui sache, par exemple d'après Édith avec Stéphane, pour voir la différence, apprendre et l’enseigner aussi, si besoin est, à mon mari.
Hier soir je suis partie avec Sandou au lac Baneasa dans mon costume blanc (et un costume de bain dessous) nager au clair de lune, sous les étoiles. C'était très agréable et beau. Je pouvais le faire tranquillement même au milieu de la nuit, il se comportait toujours gentiment en copain. D'après maman, m’inviter à nager la nuit dans le lac signifie ou une énorme naïveté ou une provocation. La première, comme il s’agit de lui, assurément.
Ensuite j'ai eu faim et nous avons soupé dans un petit restaurant où je me suis rappelé le soir où, avec Simon, nous sommes allés au restaurant Bordei. Dans les deux cas, c'est moi qui avais de l’argent, seulement Simon me l'a rendu entièrement même si c’était longtemps après, Sandou m’a rendu la moitié à la rencontre suivante. Nous avons bien mangé et vers minuit nous sommes repartis contents de tout.
Nous sommes ensuite entrés au parc Staline “juste un peu”, finalement jusqu'à deux h du matin, assis sur un banc, sous les saules pleureurs. Avec Simon nous étions restés une nuit jusqu'à trois heures du matin et c’est alors que nous avons eu notre plus belle soirée. Mais la comparaison a été tout à fait à l'avantage de Sandou. Je me souviens, j'avais le même costume. Alors, la première fois - et maintenant j’ai maigri de nouveau.
Sandou m'a enfin embrassée. Je suis restée froide bien sûr et comme d’habitude presque tout le temps ma tête tournait trop. J'ai constaté que pendant que l'autre est le plus amoureux, plein d’idées traversent mon esprit. Peut-être plus qu'une autre fois.
Au début, je ne l’ai pas compris, il me disait, quelque chose comme : jusqu'à maintenant il n'a vu en moi que la mère et pas la femme. Je l'ai mal interprété et je me suis dit, tant pis, je le gâterais avec plaisir, puisque n’étant pas amoureuse il ne m'attire pas trop comme homme.
De ce point de vue avec Simon c’était différent. Il m'avait bouleversée, attirée déjà à la première promenade. Est-ce magnétisme ou seulement parce qu’il savait y faire ? De toute façon, nettement mieux que Sandou. C’est aussi vrai, que Sandou n'a jamais provoqué de répulsion en moi et. D’une certaine façon ce premier baiser est arrivé seulement (j'ai honte de l’avouer) parce que c’est lui qui était là et pourquoi ne pas essayer enfin aussi avec lui.
C’est seulement le premier baiser qui a été difficile - celui avec Eugène. Depuis, je voudrais seulement m’embrasser avec plusieurs, avant mon mariage. Il me restera de bons souvenirs (au moins des souvenirs) et de l’expérience - j'apprendrai au moins cela. Puisque le reste, c'est mon mari qui devra me l'apprendre.
Je reconnais, j'en ai encore honte, Sandou l’a pris beaucoup plus sérieusement.
Il m'a dit - finalement j'ai compris ce qu’il voulait dire, qu'il voyait en moi la mère de notre futur enfant et à cause de cela pas la femme. Dorénavant, (après ce baiser) « le banc va nous séparer » et il aura honte de m'appeler, me dit-il. Il avait le sentiment de me voler. Non. Mais il comprenait par ceci qu'il prenait (ma bouche) ce qui n'était pas à lui. Et ceci oui, mais je ne le lui ai pas dit. Et, bien que je l'aie eu sur le bout de la langue, je ne lui ai pas dit non plus qu’il donnait beaucoup plus d'importance à tout que moi. J'ai eu énormément de chagrin pour lui. Il ne va pas mériter que je le quitte, tout comme Bébé ne le méritait pas non plus (à Simon cela n’a pas nui). Combien de gens ont des complexes d'infériorité !
Enfin je suis arrivée à ne plus penser en écrivant à ce qui arrivera si celui-ci ou celui-là ou même mon futur mari le lit. J'écris. Tout ce que je pense. J'ai déjà mal à la main et pourtant je dois encore beaucoup ajouter.
Pendant que j'écris, il fait affreusement chaud et je suis dans ma chambre, couverte seulement d’un drap jusqu'à mi-corps et mes seins à l’air. J'ai honte de moi–même, de les voir de mes propres yeux. N’est-ce pas horrible, une situation impossible, être seule dans une chambre fermée et avoir honte de rester nue. Oh là, la ! Qu'est ce qui va m'arriver, alors... (Quand ?)
Bien, allons plus loin. À cette occasion, j'ai découvert quelque chose de moche sur moi-même. Finalement je suis malgré tout plus ou moins matérialiste. Pourtant combien j'ai méprisé cela chez les autres. Dans l'amour et le mariage, ceci ne doit absolument pas compter, c’était ma religion.
Qu'est-ce que je viens de découvrir ?
C'est vrai, il ne s'agit pas encore d’amour, au moins de ma part. Mais qu'est-ce qu'on peut savoir. (Voir mes seins me dérange tellement que je me les suis couverts.) Avec Simon aussi, je me suis dit que ce n’était pas de l’amour, et finalement, en regardant en arrière, il me semble bien que je l'ai aimé. C’est autre chose, que chez moi la réflexion domine à la fin.
Il ne s'agissait pas de ça cette fois, mais de mariage. Je ne réussissais pas à l'imaginer avec Sandou. J’ai commencé à y réfléchir, pourquoi ? (J'écris déjà depuis une heure, aïe mon poignet!)
C'est vrai, il ne m'attire pas autant que ça. Et ça compte énormément. (Et grand amour-ci ou là de sa part, j'ai l'impression que je ne l’attire pas trop non plus comme femme.) Mais il ne me répugne pas, il m’est neutre pour le moment - et avec le temps tout peut arriver. Est-ce possible ?
Ceci devrait être le seul problème en réalité.
Parce qu'il est honnête, sérieux, ouvert, sincère, bon, bien élevé, réservé, tranquille mais quand il est avec moi il parle pas mal, il est assez cultivé, il aime faire plein de choses, les mêmes que moi, il est assez intelligent, sensible, etc. etc.
C'est vrai aussi, et c’est un problème, qu'il n'est pas supérieur à moi. (Anne Franck l'a écrit aussi, mais je ne le prends pas d'elle.) C’est quand même une vérité de toujours que la femme préfère sentir son mari, son futur partenaire plus spécial qu'elle-même. Elle aime, même dans la vie moderne actuelle, pouvoir regarder son mari un peu en haut. C'est vrai qu’aujourd’hui les relations sont devenues davantage comme copains et partenaires, et non plus l'un "Dieu" l'autre "l’esclave" comme c’était avant, non plus "le but de ma vie n’a été que lui" comme me disait ma mère. Pas du tout. Mais il faut quand même qu'il soit un peu plus spécial que nous, qu’on puisse le regarder avec un peu d’admiration. Il est possible que ce soit le motif pour lequel je cherche des hommes plus âgés que moi, parce qu’entre les garçons du même âge, je trouve ça très difficilement.
Sandou est beaucoup plus fort que moi, il est très fort (une fois il m'a fait passer une barrière, en me soulevant facilement) et c'est agréable mais ce n'est que de la force physique, rien d’autre... Tout jeune il a fait de la lutte gréco-romaine, puis il a été membre de l'équipe de rugby junior de Roumanie, tant qu'il voyait encore sans lunettes. De plus, il est plus sérieux, encore plus honnête que moi. Hélas, ceci peut être déjà aussi considéré comme de la bêtise (n'est ce pas, le monde est absurde, mais c’est ainsi.)
Ce n’est pas beau-beau, j'apporte d'abord plein d'arguments pour m’absoudre, j’essaie de m’expliquer à gauche et à droite. Qu'est-ce que la vérité ? Ce sont les raisons importantes, mais en plus (ce que je ne veux pas avouer parce que je ne l’admets pas en principe) : pour moi la langue et la religion comptent aussi un peu.
Un peu ? Être élevé et comprendre de façon similaire, avoir la même culture, ça compte de toute façon. En deux mots : Sandou n'a pas fait d’études supérieures, n'a pas une bonne profession ni une situation convenable, ne sait pas se procurer de l'argent illégalement et ne gagne que très peu. En général, il ne sait pas se débrouiller dans la vie. Il n'aime pas trop son métier mais ne sait pas quoi faire d’autre. Il n’a pas le courage de l’abandonner mais ne voudrait pas le continuer non plus. Il n'a pas le temps, la patience ni peut-être l’intelligence de continuer ses études. Il faudra de toute façon que je trouve une porte de sortie pour lui, y penser sérieusement, au moins qu'il lui reste ça de moi. J'ai réussi à apporter à Simon aussi une confiance plus grande et d’autres choses moralement qui lui ont fait du bien.
Maman se sent mal, envie de vomir, toux, fièvre. Je n’arrive plus ni à écrire, ni à réfléchir. Je sens que ma place est à côté d'elle, même en pensée.
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