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18 février 1946

Je n'ai rien écrit depuis très longtemps, depuis que l'école a recommencé. En janvier, rien de spécial n'est arrivé, mais j'ai vu plusieurs pièces de théâtre.

Je ne sais pas quoi faire? Le vent a soufflé si fort, et souffle encore et encore – je n'ai encore jamais rien vu (ni senti) de pareil.

Je voudrais écrire un livre et je le pourrais si j'avais du temps pour le faire. Son titre sera “ Cela s'est passé ainsi. ” Son contenu : de 1944 à 1946. Je viens de décider d’écrire au moins un jour sur deux dorénavant dans mon journal.

7 heures et 6 minutes: Le vent souffle si fort qu'on l'entend, les fenêtres tremblent et toutes les 5 minutes la lumière s’éteint pendant quelques secondes.
7 h 9: Je vais me mettre à lire – mais aussi manger!!!

25 mars 1946 , 10 h du matin.

C'est affreux, j'ai vraiment peu de temps pour écrire.

Aujourd’hui, j'écris seulement parce que j'ai la grippe et que je ne vais pas à l'école. Voilà comment cela s’est passé. De samedi à lundi il n’y avait pas de classe, je suis tombée malade le samedi en descendant dans la rivière pour rattraper mon béret. Je commence déjà à me sentir mieux.

Nous avons écrit beaucoup de devoirs du 12 février au 2 mars. Le cinq mars, on nous a distribué nos notes de premier semestre, j’ai reçu :
Roumain 5 Français 4 Histoire 5 Géographie 5
Calcul 5 Physique 6 Botanique 6 Chant 8
Santé 4 Dessin 6 Gymnastique 9 et Comportement 10

Le 8 mars: le premier perce-neige a paru, nous en avons aussi. Depuis le 12 mars, il y a déjà d'autres fleurs de printemps, mais les violettes n'ont pas encore montré leur tête. Les bosquets d’aubépines ont fleuri, j'ai même quelques branches dans ma chambre.

O putin (une peu) : souvenir

Traduire mot à mot d’une langue à l’autre peut blesser, heurter. Sinon, la réaction malveillante de certains interprétant, déformant. Je suis une Hongroise, née en Roumanie. Je suis française d’origine hongroise. Je refuse de croire aux différences entre les sexes des mots. Pourquoi ‘un peu’ et non pas ‘une peu’ ? Pourquoi ‘une ou un’ table, chaise, etc. des objets sans sexe ? À quoi sert-il de l’apprendre ? En hongrois, on n’attribue pas de sexe aux objets inanimés, cela paraît absurde. Pendant les quatre premières années d’école primaires, de six à onze ans, Kolozsvàr était une ville hongroise, ainsi que ma famille toujours.

Quand la ville est devenue Cluj (d’accord, redevenue, elle l’avait été déjà pendant vingt ans), mes parents m’ont inscrite au lycée roumain Regina Maria pour apprendre la langue. Quelques jours auparavant, une étudiante roumaine dormant dans ma chambre pour l’hiver m’avait appris quelques rudiments de la langue.

— Je parle un peu roumain.
— Tu comprends ? Une peu.
Un peu… une peu… je ne voyais, je ne comprenais pas la différence.

J’avais appris « peu ! »
Trop ? Trop peu ?

Premier jour à l’école.
Je ne comprenais que dalle de tout ce que les autres filles disaient entre elles. Dans l’école des filles de bonnes familles roumaines, elles étaient toutes fières d’être de nouveau en Roumanie. Elles ont subi (et non pas été réjouies comme moi) l’époque hongroise entre 1940 – 1945.

Le professeur principal de la classe appelle chacune par son nom. Elles se lèvent, chacune dit quelques mots d’elle-même. Probablement. Je ne comprends pas. Juste un mot de-ci, de-là.
— Kertesz Judith !
Je me lève.
Elle me dit quelque chose. Quoi ? Puis elle dit une phrase que je comprends enfin.
— Parles-tu roumain ? Comprends-tu ?
— Une peu… (en roumain O Putin)
La classe éclate de rire. Pourquoi rient-elles ?
— Bien, merci.

Elle me dit encore quelque chose qui est trop pour mes connaissances, en ce début d’année.
Deux mots ont suffi. J’étais marquée.

Pour les deux ans suivants dans ce lycée, mon surnom était devenu ‘Oputin’ et je n’ai pas réussi à m’en débarrasser, même plus tard, quand j’ai compris qu’il avait une connotation de « la chatte de… », enfin, vous comprenez, j’espère. Même en hongrois, je ne connaissais pas des mots vulgaires comme ça.

Deux ans plus tard, je réussis à sortir de ce lycée en parlant le roumain et le comprenant bien. Comprenant, ne l’admettant pas. Tout comme elles ne m’ont jamais intégrée, le masculin et féminin des objets m’est resté pour toujours un sujet détesté.

Depuis lors, je n’ai jamais considéré, même après avoir vécu vingt ans en Roumanie, la langue roumaine comme la mienne, et mon sub-conscient rejette encore souvent, et cela même en français, d’allouer un sexe aux choses inanimées. Ma petite fille de quatre ans, commence à m’y obliger.

2 commentaires:

Francois et fier de l'Être a dit…

C'est là le petit accent que l'on entend en te lisant.

Julie Kertesz - me - moi - jk a dit…

voilo, c'est tout à fait ça