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Les raconter entre lignes

Même après... la mère de Julie ne lui a pas permis d’écrire ce qui s'était passé. Finalement, l'idée lui vint d'introduire les mots qui la brûlaient trop, au milieu des textes sur sa jeunesse.
Les italiques ne sont pas dans l’originale.



16 septembre 1951

Je continue mon journal car je voudrais arriver au présent le plus rapidement possible. Bien sûr, plus on grandit plus de choses nous arrivent, on observe plus et on se rend mieux compte. On ne peut plus tout décrire en détail, mais j’essayerai de faire ressortir le plus important.

J'ai déjà décrit la période 1944-45 dans mon premier journal, que j'ai reçu quand nous avons entendu pour la première fois les bruits des canons. Mais dans ce journal mon horizon était encore très étroit, et j'ajouterai ici quelques détails et pour le reste, je relirai mon premier journal. On peut voir dans ce journal que je ne m'occupais que de moi, mais je n'ai commencé à comprendre ce qui arrivait qu'après les événements qui me touchaient directement.

Pendant longtemps je n'ai rien écrit. Pourtant pendant ce temps-là beaucoup de choses nous sont arrivées. Ma mère et les circonstances m'ont empêchée de continuer.

Les obus tombaient. La maison où on se cachait a été sérieusement endommagée. Finalement, les Russes tant attendus sont arrivés. Ils descendaient la colline sur des chariots. Aux premiers soldats qui sont entrés dans la maison, on a offert du vin mis de côté pour cette occasion et ils ont trinqué avec papa. Ensuite, les suivants se sont comportés plutôt comme des ennemis : “davai cas” (donne ta montre), etc. Une armée ne peut être sans défauts. Ils venaient la nuit ‘contrôler’ et volaient tous les objets sur lesquels ils pouvaient mettre la main, entre autres emportant mon petit sac à dos où étaient mes poèmes et mes pièces de théâtre et tout ce que j’avais mis de côté, économisé. Ensuite un lieutenant russe a emménagé avec Julia, et a chassé ceux qui venaient sans permission.

Je n’oublierai jamais, la nuit, où des soldats sont venus et m’ont réveillée en pointant leurs armes tout près sur moi. Nous avons dû remonter dans la cuisine et maman a dû me donner un tranquillisant. J'avais extrêmement sommeil, mais les soldats m'ont empêchée de bouger, me coucher, il fallait rester là, sinon...

Mes parents ont réussi à me protéger de tous les désagréments, autant qu’ils ont pu. Je n’ai pas eu faim, ni d’autres malheurs que mes parents ont eus. Le lendemain on a emmené mon père, pour travailler.

Finalement, il a réussi à obtenir qu’on nous laisse passer à Pest.

Nous avons mis sur ma luge toutes les affaires que nous pouvions, et nous avons traversé en quatre heures le Danube à pied, sur la glace (allant pas à pas pour ne pas tomber dessous.) Nous avons habité quelques jours chez une cousine de maman où il y avait déjà de l'eau chaude, et nous avons pu prendre un bain. Une fois, j’ai même reçu un œuf en cadeau. Combien de temps nous avons discuté avec maman sur la façon de le préparer!

Ensuite nous sommes partis sur une camionette découverte vers la Transylvanie. Je me rends compte que ne n’ai rien dit de mai à décembre. Pourtant beaucoup de choses nous sont arrivées.


Je ne l’ai jamais regretté
Souvenirs

J'ai été séduite par l'idéologie communiste vers 14 ans et je suis devenue de plus en plus active. Mon rêve était de m’occuper des enfants "pionniers"(une sorte de scout), portant la cravate rouge. Je voulais devenir leur guide. Seulement les meilleures élèves, bonnes et obéissantes pouvaient rentrer chez eux, avoir droit à la cravate rouge. Enfin, à 15 ans, on m'avait confié un groupe dans une école à Bucarest. Á peine avais-je commencé à m’occuper d'eux - et fort bien - on m'a appelée au siège de l’Organisation de la Jeunesse Ouvrière, on m'a critiquée et on m'a retirée de ce groupe; en plus, on m'a demandé de rendre ma carte de membre. Carte que je portais à l'époque, sur mon cœur, dans un petit sac cousu par moi spécialement pour ça.

Rendre mon carnet caché sur mes seins, sous ma robe, mon carnet mérité et chéri me faisait, à l'époque affreusement mal et ne pas m’occuper de mes pionniers, aussi. Surtout, puisqu'ils n'avouaient pas le vrai motif de tout cela : mon père venait juste d'être emprisonné par le Service Secret "Securitate" de Roumanie. Ils l'ont emmené une nuit et depuis, nous ne savions plus rien sur lui, il était tenu "au secret", et il était "incommunicado".

Je me sentais exclue, malheureuse, une paria. Coupable, sans savoir de quoi. Qu’avais-je fait?
Je savais pourtant que j'avais travaillé sans relâche et honnêtement comme on nous le demandait.

Sept mois après, mon père a été relâché. "Erreur" lui a-t-on dit. Ils m'ont rappelée moi aussi ensuite au mouvement de jeunesse. "Erreur" m'ont-ils dit à moi aussi. « Bon, on te rend ton carnet, on te donnera d'autres pionniers, cette fois à l'école hongroise, puisque tu parles mieux hongrois que roumain. » Je n'ai plus remis le carnet sur mon cœur et je n'étais plus dorénavant celle qui obéissait en tout, qui croyait aveuglément en tout ce qu’on lui racontait.

Justement, nous nous préparions à élire un nouveau groupe de pionniers. Parmi elles, il y avait une petite fille de 8 ans, aux cheveux blonds.

— Aide-moi ! m’implora-elle, secouée par les larmes qui coulaient de ses yeux bleu foncé. On ne veut pas de moi, pourtant je suis obéissante et aussi bonne élève, je n’ai que des bonnes notes.
— Pourquoi ne veut-on pas d'elle? ai-je demandé aux autres.
— Elle est absente trop souvent, m’ont répondu les autres.
— Quelquefois, je ne peux pas venir. Je suis enfant de cirque, on a besoin de moi pour le numéro ou pour des répétitions. Nous faisons de la voltige, cinq heures de répétition par jour. Venez voir maman, elle vous l'expliquera.
Je suis allée au cirque, ils habitaient dans un wagon étroit. Sa mère me dit :
— Ils ont arrêté mon mari, on l’a emmené il y a trois mois.
C'était pour cela qu'on ne la voulait pas comme pionnier.

— Mais elle a tellement de chagrin, faites quelque chose. Elle travaille tellement d’heures ici, pour son numéro de voltige, ce serait dangereux si elle ne répétait pas avec les autres. En plus, elle prépare soigneusement les leçons pour l'école, elle fait tout pour pouvoir suivre les autres. Elle fait tant d’efforts. Elle travaille tant. Ce n'est pas sa faute, si son père est en prison.

J'ai essayé de convaincre la circonscription du mouvement de donner une cravate rouge à cette petite fille, enfant de cirque, de la laisser entrer, elle aussi parmi les pionniers.

— Elle est une bonne élève, même son institutrice l'a affirmé, obéissante, gentille. Ses absences, le reste, ce n'est pas sa faute!
— Non. Puis plus tard, on m’a dit: "on verra".

Le jour de fête, le jour de la distribution de cravates rouges est arrivé. Tout le monde chantait, sautillait. La petite fille de cirque pleurait.
— Et moi? Et moi ?
— Vous n'avez rien fait pour elle? ai-je demandé.
— Mais il n'y avait pas assez de cravates...
— Bon. Je lui donnerai la mienne.
C’est ce que j'ai fait ce jour-là.
Un mois après, je n'étais plus responsable des pionniers, on ne m’a plus confié une responsabilité. Mais je n'ai jamais regretté ma décision de donner ma cravate, un matin de printemps à cette gamine qui la méritait, qui la désirait tant.

Elle voulait être comme les autres. Appartenir. Ne pas se sentir encore plus exclue. Ce n'était pas de SA faute si son père était en prison. Ni celle de mon amie Édith dont on a emmené la mère; la rendant folle en deux mois; puis mise dehors sur une civière, horriblement amaigrie, sans dents.

Je ne sais pas ce qui est arrivé au père de la petite voltigeuse, mais la mère de mon amie Édith n'est jamais sortie de diverses maisons de santé mentale. Édith a réussi à s'en tirer grâce à mon amitié et au soutien de son père. Il était divorcé et déjà remarié avec une doctoresse chaleureuse.

Le père de Simon, mon premier flirt, était aussi en prison pour "sabotage". Á l'époque, si quelqu’un gênait, on le dénonçait et voilà, on en était débarrassé... pour longtemps ou pour toujours. Nous le savions, cela arrivait de plus en plus souvent. Ça se passait tout autour de nous.

Mais la carte de membre, j'y tenais encore, malgré tout, même si c’était moins qu'avant. Un jour, elle est tombée de mon cartable, je l'ai perdue. Je n'osais pas l'avouer, c'était considéré comme un crime.
On l'a retrouvée.
— Quoi? Tu ne la portes plus sur toi? Comment as-tu fait pour la perdre? On ne te la rendra que dans trois mois, pour te punir.
Je regrettais encore. Mais pas assez pour la remettre sur mon cœur, l’attacher sur mon cou. Je pensais déjà "ça et ça n'est pas bien, mais..." Je me disais encore "Ici, en Roumanie, tout n'est pas bien fait, mais là-bas, en Union Soviétique... " Jusqu'en 1956, jusqu'à la révolution hongroise, réprimée par les Soviétiques.
Alors, mes dernières illusions se sont envolées. Mais...
Malgré tout, après tout ce qui s’était passé, je tenais encore à ma carte. J'ai eu encore mal au cœur, au moins un pincement, quand, des années plus tard, en même temps qu'on m'a exclue comme "Ennemie de peuple" du travail mais aussi empêchée de terminer mes études, juste avant leur fin; on a ajouté « rends ta carte: tu es exclue aussi du Mouvement de Jeunesse Ouvrière. » Sur le moment, le geste de mettre ma carte sur la table du directeur me heurtait plus que tout. Le reste, je l'ai ressenti, je l’ai pleuré plus tard.

J’ai guéri, mais cela a pris du temps, beaucoup de temps. Je me rappelle avec attendrissement l’adolescente portant religieusement sa carte de membre entre ses seins.

Pourquoi tout cela me chagrine-t-il encore ?

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Parce que tu as tout donner de toi.
Et que petit à petit ce que l'on vous demandait de faire (le bien, donner, aider) et bien, ce n'était pas si bien fait ... mêm eà coté de chez soi ...
A force de croire ..et de voir le contraire fait ...on s'en détache.
Mais on a cru très fort, on a beaucoup donné ... en faisant le bien.
Et en étant mis dehors ... aprce que trop bien ....
Donc, pour une mauvaise raison ....
sophie

Anonyme a dit…

ce )à quoi tu étais attachée
et que tu portes encore
ce sont tes pensées humanistes...

H a dit…

a flickr-n talaltalak és csak olvasom es olvasom a naplod. fantasztikus. nagyszuleim tortenetei elevednek meg, ok epp egyidosek veled. Kolozsvarrol Budapestre koltoztek a vilaghaboruk utan. en 25 éves vagyok és budapesti. éltem picit Londonban és Parizsban is most Nantes kozeleben dolgozom belsoépitészként.
csak gratulalni szerettem volna. igy tovabb!