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L'histoire d'une stage

Ou comment marchait l’économie des pays sous tutelle soviétique…

2 mai1953

Je voudrais écrire sur l’histoire de notre école d’Antibiotiques et mon opinion. Comment tout a commencé, je ne le sais pas pour sûr, mais cela a dû se passer approximativement ainsi :

L’usine de pénicilline

Quand ils ont préparé le premier plan quinquennal, à l’Industrie pharmaceutique en s’apercevant de l’importance de la pénicilline et des autres médicaments antibiotiques et vu combien d’argent il faut dépenser pour les obtenir des pays étrangers, on a décidé, qu’à la fin des cinq ans, à côté d’une fabrique de synthèse des médicaments, on construirait une fabrique de pénicilline et plus tard une de streptomycine. C’était le début.

Ensuite, je pense, qu’ils ont réuni les directeurs des Instituts de Recherches, ceux des Projets, ou leurs meilleurs ingénieurs, sûrement aussi le professeur Nenitescu de l’École Polytechnique, le ministre, j’ai entendu que Chivu Stoica était aussi présent, et ils ont commencé à discuter pour voir comment réaliser ce plan.

La décision a dû être (bien sûr comme le conseiller soviétique était présent , lui aussi) qu’on ferait selon les procédés soviétiques, ils importeront aussi les appareillages de l’Union Soviétique, on construira l’usine avec leur aide. Ils ont décidé aussitôt que cela serait fait à Iasi, d’abord – et je crois que c’était le motif principal – il fallait industrialiser la Moldavie et Iasi. Mais pourquoi juste avec ceci ? En plus, ils font construire là aussi une usine de bicyclettes et une de médicaments de synthèse, etc. J’ai entendu, Florescu, notre ministre de Chimie et aussi un autre ministre, sont originaires de là.

Les Soviétiques ont contesté que l’usine soit à Iasi, ils ont dit qu’outre qu’il n’y a pas de bonne eau, de gaz, de matériel, surtout pour cette industrie, il manque là la main d’œuvre appropriée. Il faut des gens très propres, ordonnés, habitués au travail semblable. Ils ont conseillé de faire bâtir l’usine en Transylvanie où toutes ces conditions sont déjà réunies. À la fin, elle sera quand même bâtie à Iasi. On amènera aussi des ouvriers d’ailleurs.

Les Soviétiques ont affirmé alors qu’ils ne transmettraient pas l’usine, l’appareillage cher, l’aide en tout et même au démarrage par leurs propres techniciens, sauf s’il s’agissait de gens bien préparés qui s’y connaissent.


Le travail a commencé.

Nous avons reçu de l’Union Soviétique les plans de l’usine de chez eux, tout presque prêt. Les responsables de projets ont reçu la tâche de la traduire selon le contexte d’ici. Les appareils qu’on peut, seraient construits chez nous, les autres importés.

Ils ont finalement décidé l’emplacement exact de l’usine, non pas à Iasi, mais dans un village à dix kilomètres de la ville. (Village d’où le Ministre était originaire.) Ils ont conduit jusque-là une voie ferrée, installé des canalisations d’eau – parce qu’il n’y avait que des fontaines auparavant.
Aussitôt que le temps s’est réchauffé un peu, au printemps 1953, la construction a commencé. Plus de 700 personnes travaillaient pour que l’usine et son environnement soient prêts. Le plus important, bien sûr, est la fabrique elle-même, mais ils se sont souciés aussi sérieusement de son encadrement. Il paraît que Chivu Stoica lui-même, responsable de l’Industrialisation de la Moldavie, a parcouru les plans et a obtenu leur amélioration et même que l’usine soit plus près de tramway.


Nos dirigeants et leurs caractères

Les plans sont jolis, mais il faudrait aussi les réaliser. Ils ont nommé dès le début Vasilescu, Ingénieur chef de l’usine, un homme en apparence fort mou. Il ne plait presque à personne. (Je dois noter, que j’écris seulement ce que j’ai entendu ou pense et d’un côté c’est possible que cela ne soit pas passé exactement ainsi, mais, j’ai sûrement laissé de côté des choses importantes.) Vasilescu promet tout à tous, mais à la fin sa promesse ne se réalise pas et toujours pas de sa faute. Est-il responsable. Non.

Ils ont nommé un peu plus tard le directeur de l’usine : qu’il reste longtemps. Jusqu’alors il travaillait à Iasi pour le parti communiste. Je crois qu’il est aussi ingénieur, mais c’est possible qu’il ait fini plutôt l’université marxiste, de toute façon, quelque chose. Je sais de lui qu’il donne des cours de marxisme à Iasi. Aussitôt que nous l’avons aperçu, nous tous venant du lycée technique de chimie, chacun séparément a pensé « il est tout à fait comme Tugurlau. »

Tugurlau était un très bon directeur communiste, malheureusement il n’est resté qu’un an à cause des intrigues. Après lui, nous n’en avons eu aucun de la même trempe, hélas. Jusqu’à maintenant, nous sommes convaincus qu’il est courageux, il sait ce qu’il fait et dit et c’est un homme bien. Un homme. Je sais aussi qu’il aime aller à l’Opéra et connaît la famille d’Agnès. J’espère que nous ne serons pas déçus par lui.

Depuis, j’ai entendu que dans son travail, il sauterait à gauche et à droite ce qui cause des problèmes. J’espère, ce n’est pas vrai. J’ai aussi observé qu’il utilise Thibaut pour faire ses courses (acheter des billets d’opéra, réserver des places de couchette, etc.) ce qui ne me plait pas du tout. Ensuite, en entendant que Thibaut était bruyant à l’école et qu’on a dû le mettre hors de la classe, il lui tape l’épaule. Il n’aurait pas dû attraper ceci de Vasilescu.


Le sort des techniciens

Je ne sais pas comment on prépare les ingénieurs, je ne sais pas d’où ils les prendront, mais je sais comment ils préparent les techniciens. J’ai entendu que la moitié de l’usine sera composée de techniciens et d’ingénieurs.

Au Ministère de la Chimie, il y a une section « Collectif Technique pour les Nouvelles Unités » préparant les cadres nécessaires pour celles-ci. Quand nous avons terminé l’école, l’été 1952, ce ministère, dont dépendait notre lycée technique, a envoyé une partie d’entre nous à l’université, l’autre vers les fabriques (je parlerai de tout cela une autre fois). Ils ont surtout envoyé en province et surtout pas dans les cadres pour lesquels ils étaient préparés à l’école.

À la fin, tous ceux qui ont voulu, ont réussi à se débrouiller pour rester à Bucarest. Mais il n’y avait plus de place à l’Institut de Recherche (où beaucoup d’entre nous auraient voulu travailler.) Que faire ?

Nous avons signé un contrat de sept ans avec les Unités nouvelles, stipulant que nous resterons deux ans à Bucarest (nous à l’Institut de Recherche, d’autres à la fabrique de Colorants ou de Médicaments) et ensuite, nous irons où l’on aura besoin de nous. Nous n’avons pas pensé sérieusement à ces sept ans, presque tous voulaient entrer l’année prochaine à l’Université ou alors on pensait que d’ici là une place se ferait et nous restions définitivement à travailler là où on avait commencé.

À partir d’ici, je suis aussi impliquée et j’écris avec beaucoup plus de difficulté.

Entre temps, ils ont envoyé deux techniciennes ayant fini une année avant nous à Moscou pour apprendre pendant six mois ou une année. Quant à nous, le plan était que nous commencions à apprendre dans plusieurs sections des usines où nous étions repartis, en faisant un mois dans chaque section. Finalement, on nous a ‘oubliés’ à la première section où nous étions : nous étions une main d’œuvre gratuite (le ministère payait) et le travail était bon.

En général, nous nous sommes bien débrouillés et ils étaient contents de nos prestations, de notre travail : quand ils ont entendu plus tard que nous partons, les dirigeants de l’usine ont essayé d’obtenir qu’on y reste, sans succès, c’était trop tard.


L’école d’Antibiotiques

Je crois que dès que les Soviétiques ont déclaré qu’ils ne passeraient l’usine prête qu’aux gens compétents, on a décidé de créer notre école. D’abord, à Iasi, mais comme, heureusement, ils n’ont pas trouvé d’enseignants appropriés là-bas, ils se sont résignés à ce qu’elle soit à Bucarest et qu’elle dure une année. Les cours auraient dû commencer le 1er janvier 1953 avec 25 à 30 techniciens chimistes, pharmaciens et quelques ingénieurs. On a confié la tâche de trouver les cadres à Toma (responsable des cadres de chimie organique du ministère.)

Et regardez ce qui est arrivé !

D’abord, pourtant selon les livres comptables, nous avons commencé à fréquenter au début de l’année, l’école d’Antibiotique ne s’est ouverte que le 19 mars. Puis, ce qui est le plus significatif, avec qui ?

On nous y a mis, nous 20, automatiquement.

Au maximum 5 d’entre nous, voulaient y aller, surtout les garçons menacés sinon d’aller à l’armée et fuyant devant cela. Les autres, aucun ne voulait atterrir à Iasi, encore moins pour les six ans et demi qu’il nous restait (nous avions signé six mois avant la convention.) Ils nous ont alors menacés de nous envoyer à UCA Fogaras (extraction d’uranium souterrain), etc. Ils nous ont contraints d’aller à cette école, non en nous convainquant, puisqu’ils n’ont pas réussi à détruire nos arguments, mais avec la force.

Mais rien n’est impossible quand on le veut très fort.

Un des garçons a convaincu le Ministre de le laisser partir. Viorica, je sais comment (nous l’avons vu se promener avec Toma.) Cella, d’après ses dires, par la résistance passive (mais elle sort avec des copains, fils de dirigeants) et elle a même réussi entrer à l’Institut de Recherches. J’écrirai sur elle une autre fois.

Finalement, sur 20, nous sommes restés 12.

Certains, comme Agnès, convaincus par leurs parents, d’autres, comme Florica, fatigués de lutter, d’autres, Bathia, puisque les parents leur ont dit de le regarder comme un repos, les garçons pour éviter l’armée, très peu pour l’avoir décidé d’eux-mêmes. J’ai été convaincue par ma conscience et les livres soviétiques, mais en premier lieu, Staline. Sa mort était décisive, le lendemain, j’ai signé la convention et j’ai décidé d’aller à Iasi. Tina, elle aussi, a signé à cause de sa conviction de membre de l’Union de Jeunesse.

Mais entre les 12 techniciens chimistes restant dans l’école, au moins 6 sont décidés à n’y pas aller après la fin des cours. Toma le sait bien, lui aussi. Mais sûrement, cela n’est plus de son ressort. Mais notre directeur d’école, (et je crois aussi Rotaru, le directeur de l’usine), ne le sait pas ou ne le croit pas. Bon, on verra dans un an. Est-ce la peine de leur dire ? On ne peut pas aller vers Rotaru avec ça de but en blanc, pourtant Tina aurait voulu l’avertir. Le directeur d’école, ne le croit pas, naïf.

Mais on n’est arrivé ainsi qu’à 12 au lieu de 30, loin même de 25.

Ensuite, pour augmenter le nombre, Toma a pris n’importe qui. D’abord, les techniciens ayant fini une année avant nous voulant fuir l’armée, préférant étudier en étant payés pendant une année au lieu de devenir soldats ; puis ceux ayant fréquenté un lycée et ne sachant que devenir ; certaines femmes avec enfants qui ne veulent pas aller à Iasi après l’école mais gagneront le procès au tribunal ; des pharmaciens voulant apprendre un peu de chimie ; même un technicien métallurgiste. Ainsi, au fur et à mesure, nous sommes arrivés à 25.


Le directeur d’école

Entre temps, il fallait chercher des enseignants. Ils ont amené le directeur d’Iasi. Il serait un homme assez bien, s’il ne se couchait pas devant tous les chefs et ne prenait pas leurs mots pour l’Évangile. Il croit tout, même de l’ignoble Toma qui pourtant dément le lendemain ce qu’il avait dit la veille. Notre directeur travaille beaucoup, mais pas toujours bien. Il a peur, alors il est indécis. Il n’a pas d’avis ou alors, il n’ose pas l’affirmer. Pourtant, il a de la bonne volonté. À partir d’un programme trop difficile, à notre demande, mais je crois aussi en consultant ceux « d’en haut », il a créé un programme facile et bon.

Quand nous lui avons dit notre avis, il était contre nous, mais ensuite, il a bien réalisé ce que nous lui avons expliqué. Je crois qu’il faut être déterminé en face de lui. Il ne m’aime pas, au contraire.

Pourquoi dois-je donner mon avis, sans cesse dire la vérité. Je devrais mettre un verrou sur ma bouche ! Et surtout, quand je sais que les paroles ne changent rien. Il est membre du parti communiste, mais ce n’est pas un communiste. Et hélas, il n’y se connaît pas dû tout en chimie. Connaît-il au moins la pédagogie, la philosophie ? Où alors, il répète seulement ce qu’il vient de lire des livres soviétiques ? (Bien sûr, je doute qu’il connaisse l’ancienne philosophie ou pédagogie.) Comme il le dit, lui aussi, depuis vingt ans, il n’avait plus à faire avec des étudiants.


Les enseignants


Au début, il était question de nous donner des Professeurs de Faculté. Ensuite (à cause des maladresses), ils n’ont pas trouvé même des Assistants. La plupart de nos enseignants viennent de l’Institut de Recherche des Antibiotiques. Pourquoi pas, la paye est bonne. Ils sont tels quels.
Les trois enseignants de Microbiologie paraissent bien, mais sont de piètres pédagogues. Nous, ayant déjà étudié pendant 12 ans, reconnaissons aussitôt un prof et savons comment devrait être un bon enseignant : bien expliquer et beaucoup exiger. Comme nous ne savons pas du tout de microbiologie, je ne peux pas estimer s’ils connaissent bien ou non leur métier, chacun nous raconte son travail.

Notre meilleur prof est Sternberg, il fait le cours de Chimie Physique. Il sait bien l’expliquer, c’est une bonne tête. Aussi celui de Technologie, mais il est paresseux. L’autre, un peu moins, c’est un homme comme il faut mais faible.

La Chimie Organique est enseignée par un Pharmacien, ce qui dit tout. Il en sait moins que les deux tiers de la classe et, hélas, il est sot. Si on le dit au directeur (bien sûr avec un peu plus de tact que ce que je viens d’écrire), il répond : vos enseignants sont tous des sérieux savants, s’ils n’ont pas de dons pédagogiques, je leur enseignerai. La langue russe nous est enseignée par une femme n’ayant aucun sens pédagogique, non plus. Mais son mari, il en a plein. Et le livre de Russe, recommandé par Rotaru est bon. Il aurait été mieux si c’était Sternberg qui nous apprenait le Russe, il le sait bien. Mais la Chimie organique, n’importe quel technicien parmi nous pourrait mieux l’expliquer que ce pharmacien, même un des élèves pharmaciens s’y connaît mieux que lui. Bien sûr, tous les pharmaciens ne sont pas nuls. (Mon père est aussi l’un.)

À cause de Toma ayant trouvé les élèves futurs cadres tel qu’il a procédé, la moitié de la classe a un niveau nettement plus bas que la nôtre. Ce n’est pas leur faute. Mais nous devons le souffrir, et surtout notre préparation s’en ressent. Nous apprenons plein de choses, déjà bien connues, paraissant compliquées et difficiles pour les autres, mais ils sont obligés de l’apprendre (et souvent d’un mauvais prof). J’imagine, combien de choses importantes nous pourrions apprendre entre temps, à la place.

Il y a encore d’autres problèmes, surtout autour des travaux pratiques, mais l’école marche, les élèves apprennent plus ou moins et il y en aurait qui pourraient reprendre l’usine en main. J’écrirai davantage une autre fois, j’ai déjà usé toute une matinée pour écrire. Au revoir, mon journal.

C’est ici que s’arrête, ce que j’avais écrit, alors.
Mais l’histoire ne s’arrête pas pour autant.

Une fois l’usine construite ; les techniciens soviétiques l’ont mise en marche difficilement et lentement (nous ne savions pas encore qu’en Roumanie ils vivaient tellement mieux que chez eux), mais finalement, ils l’ont mise dans les mains des Roumains. Enfin la Roumanie a eu de la pénicilline sans devoir payer, outre qu’aux Soviétiques pour les plans, les appareils et l’aide…

Avec le temps, mais assez rapidement, on se rendit compte qu’on a fait une fabrique de taille pour l’Union Soviétique ; la Roumanie, même Socialiste, n’était qu’un petit pays en comparaison; on ne pouvait l’arrêter, sinon, les micro organismes, champignons, d’où l’on fabriquait les médicaments mourraient. On n’avait pas prévu d’avoir trop de pénicilline.

Que faire maintenant ?

Il faudrait essayer de vendre le surplus aux pays étrangers : à qui et comment? Comme mon père (travaillant à l’époque à l’Import/Export des Médicaments) suivait ce qui se passait avec cette fabrique de près, il se proposa comme volontaire. Mais pouvait-on lui faire confiance ? On l’envoya d’abord en Yougoslavie, pays frère, et là il réussit à lier amitié avec un directeur de fabrique et à lui vendre de la pénicilline.

Ce n’était pas assez. On produisait toujours trop.

On l’envoya dans d’autres pays, la France, la Hongrie, l’Argentine, l’Égypte, l’Allemagne. Partout, il fit des bonnes affaires, tant pour ceux de là-bas que pour le pays. Coup de chance et flair pour des bonnes relations de mon père, les Allemands étaient prêts, à acheter à la Roumanie la matière première et à l’emballer ensuite sous leurs étiquettes contre d’autres médicaments achetés par eux, même de l’aspirine et de la pénicilline.

Mon père fut fêté et en plus, il put nous apporter des choses de partout. De nouveau, il pouvait m’habiller bien, nous avions notre premier frigidaire, une radio, un beau costume de bains, une paire des chaussures avec talons - et même des disques de rock’n’roll!

Mais en plus, ce que je n'apprendrai que beaucoup plus tard, il a fait des contacts qui nous ont servis des années plus tard pour réussir à nous en sortir d'un pays devenant de plus en plus lourd et tyranique.

Je n'airais pas cru, tout ce que le chemin de pénicilline apporterait dans notre famille…

1 commentaire:

Anonyme a dit…

ca ressemble bien a ce que nous racontait notre prof d'économie, au lycée !!!

Sophos