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Troisième journal

3e journal (1948-1950)

Comment l'horizon s'élargit...

Je suis devenue membre de l’UJT !

(l'Union de Jeunes Travailleurs Communistes)

16 novembre, 1949

J’ai décidé d'inaugurer ce joli journal. J’en ai déjà écrit deux, le premier de 10 à 14 ans, le deuxième de 14 à 15. Mais ni l’un ni l’autre ne sont comme ils devraient être, ils ne reflètent pas ma vie, seulement quelques sentiments - les plus beaux ou les plus moches.

Il y a déjà longtemps, j’avais décidé d’écrire un livre sur ma vie sous la forme d’un journal, dans lequel je décrirais aussi le monde autour de moi. Il serait intéressant de voir comment l’horizon s’élargit graduellement devant soi.

J’essayerai de faire de ce cahier aussi un aide, un copain. Toutes les choses spéciales qui m’arrivent ou qui se passent autour de moi devront s’y retrouver. J’écrirai toujours seulement la vérité. Ainsi, c’est possible que mon journal devienne plus beau de jour en jour, mais aussi qu’il change en devenant plus moche. Je n’ai pas assez de volonté et ainsi c’est possible qu’au lieu de monter, je descende. Non, je ne me le permettrai pas!

On ne peut pas commencer quelque chose à mi-chemin ! (Ce n’est pas vraiment le milieu de ma vie, parce que je n’ai que 15 ans et j’espère vivre au-delà de 30 ans) Je devrais ajouter d’abord quelque chose sur ma vie passée. Il n’y a pas longtemps j’ai rassemblé mon autobiographie, mais elle contient seulement les faits bruts.

Ce qui est intéressant dans quelqu’un, c’est son développement. Il est également intéressant de comprendre comment je suis devenue telle que je suis. On apprend sans cesse, on se développe tant physiquement qu’en esprit. Et quand on croit qu’on a déjà énormément progressé, que c’est fini, alors on commence à se développer encore davantage.

Mais commençons dès le début.

Je suis née à Cluj, mais je dois avouer que je ne m’en souviens pas. On dit, que j’ai habité de 1 à 6 ans à Bucarest. Je fréquentais l’école maternelle allemande, vers mes 4 ans je parlais (un peu), en plus de ma langue maternelle hongroise, le roumain et l’allemand.

De quoi je me souviens sur cette époque ?

Qu’une d’elles m’avait enfermé dans une chambre sombre pour dormir quand j’avais envie de jouer. Que je savais nager sous l’eau et sauter dans la piscine. Je haïssais quand l’animatrice de la maternelle était invitée à déjeuner chez nous, puisque à ces moments-là il fallait parler l’allemand. J’avais une amie Irina de qui j’ai appris à parler roumain. Je me souviens qu’à la maternelle mon signe était cerise et celui de ma copine prune, sa mère connaissait la mienne. Papa m’interdit pendant longtemps de sortir seule dans la rue. Il avait fort peur pour moi.

Pour un de mes anniversaires (j’ai dû avoir quatre ans), j’ai reçu de lui un tas de petits échantillons : de crèmes, poudre et eau de Cologne que je vendis à mes invités contre de l’argent en chocolat (qu’ils ont reçu de maman). C’était un amusement formidable !

J’aimais beaucoup faire de la gymnastique et jouer. Souvent, je restais déjeuner à la piscine et la bonne apportait la ratatouille.

Ensuite, ce que mes parents m’ont raconté. Une fois, je ne pouvais plus bouger mon bras et l’on m’emmena chez le docteur qui ne trouva rien. J’étais malade ‘à mourir’ et quand papa est rentré de voyage, d’un coup, je l’ai embrassé avec les deux bras.

Je ne savais rien, juste ce qui arrivait tout près de moi.

Je me rappelle juste qu’une fois, pendant que nous marchions dans la rue, maman m’a chuchoté dans l’oreille, je devais avoir 5 ans : “tu es calviniste, chrétienne”. Bon, je me disais, ne comprenant pas ce que cela signifiait. Et pourquoi le chuchote-t-elle ?

Peu de temps après a commencé une nouvelle étape de ma vie, celle de 1940 à 1944.

Mais faisons d’abord une parenthèse. Mon père est d’origine paysanne juive. Il a fait des études de pharmacie et il a été fonctionnaire dans plusieurs usines de cosmétiques. Ma mère arrive d’une famille à moitié aristocratique qui l'a laissée difficilement se marier avec papa. Papa et maman se sont beaucoup aimés, mais ils sont très différents l’un de l’autre et ils ne s’entendent pas, ne se comprennent pas. *

Maman est aussi juive, mais ni l’un ni l’autre ne croient plus en Dieu depuis longtemps, depuis très longtemps. Avant 1940 déjà, en sentant le danger arriver, ils se sont fait baptiser dans la religion protestante (calviniste comme la plupart des hongrois). Dans ce journal j’écrirai aussi de grands secrets et j’essaierai de bien le cacher. Pour le moment j’ai assez écrit, je continuerai un autre jour.


* Rayé dans l’original

Trop tard pour les regrets

27 novembre 1949

Je continue mon journal que je commencerai avec un long retour arrière. Jusqu’à ce que je le finisse, jusqu’à ce que j’arrive aux choses d’aujourd’hui, beaucoup de temps se passera. Mais quand même, pour voir plus clairement ma vie je ferai cette auto-analyse.

Je suis hongroise. Je suis juive. Je suis roumaine. Á un moment donné, je ne savais plus ce que j’étais, et je me disais: je suis 1/3 hongroise, 1/4 juive 1/8 roumaine, 1/8 soviétique et 1/8 tous les autres. J’expliquerai plus tard comment je suis devenue tout cela. C’est un de mes grands problèmes, dont je ne m’occupe pas en ce moment, parce que j’ai plein d’autres choses à faire et à penser. Je me le rappelle seulement de temps en temps. Ce que je viens d’écrire est juste une parenthèse. Je commence déjà la suite.

Donc mes parents (comme je l’ai appris plus tard), comme ils voyaient que l’on commence à persécuter les juifs, se sont fait baptiser. Sans qu’aucun soit croyant depuis longtemps.

Maintenant, avant d’arriver à l’époque de 1940 à 1944, j’écris encore sur ce dont je me souviens d’avant.

Chaque été nous allions chez les deux grands-parents; les uns après les autres. Les parents de maman, Sidonie et Emil habitaient à Kolozsvàr. Ils avaient un beau pavillon sur la Colline des Nuages, j’habitais là. Ils avaient un grand jardin et je ne connaissais rien d’autre de la ville que celà et toute la famille qui se rassemblait là. Les autres grands parents, ceux de papa, habitaient à Commando (plus haut que Kovàszna). De là je me souviens d’une petite cour où nous jouions avec ma cousine Magdie. Après Bucarest bien sûr le village boueux me paraissait curieux (il ne me parut pas petit puisque j’étais encore plus petite moi-même.)

Avant 1940, je crois que nous étions à Kolozsvàr, c’est alors qu’arriva la « récupération ». La joie tout autour, la ville décorée me plaisait. Je voulais à tout prix avoir moi aussi un drapeau à agiter. Papa l’a acheté et j’étais ravie. Nous sommes allés chez Hugo (l’oncle aîné de maman) et je suis sortie sur la terrasse qui regardait sur la rue, les soldats hongrois défilaient justement sur des motocyclettes et j’ai agité le drapeau jusqu’à ce qu’il tombe. J’étais énormément attristée. (Le fils d’un oncle de maman était parti accueillir les soldats.) J’avais pitié des soldats, on ne les laissait pas avancer tellement on les embrassait.

Ainsi commencèrent mes années sous Horthy. Nous avons emménagé au 4, rue Tür Istvàn, nous y étions jusqu’en mars 1944.

On peut dire de ces quatre ans : d’un côté était l’école qu’on peut appeler presque fasciste faisant tout pour me tourner la tête - et à l’époque c’était la plus forte – de l’autre côté maman essayant de mettre les choses en perspective.

(Je constate que je n’ai pas fini bien que j’aie écrit beaucoup. J’entrerai dans le sujet la prochaine fois. J’ai mal aux mains maintenant.)

3 décembre,1949On sait mieux ce qui arrive quand les événements sont encore frais et on arrive à mieux les exprimer. Même si je ne décris pas les choses aussi objectivement tout de suite qu’en me les rappelant, à côté de ma biographie, Toujours, tout à fait sincèrement et non pas comme, disons, j’aurais voulu qu’elles se soient passées. Tout aurait été mieux si j’étais née enfant d'ouvriers ou au moins dans une famille communiste ! J’envie ceux qui ont travaillé dans l’illégalité, la résistance avant ou pendant la guerre.

Aujourd’hui j’étais voir pour la deuxième fois “L’enseignante héroïque de Satri”, je l’ai aimé ce film encore mieux que la première fois. Je l’ai ressenti très fortement et tout en ayant honte, les larmes coulèrent de mes yeux. Je n’oublierai jamais l’image de la jeune enseignante héroïque, Zoja pendue. J’aurais très honte si au même âge qu'elle en regardant en arrière je n’avais rien fait de spécial pour aider les autres.

J’ai beaucoup appris de ce film, mais j'ai appris davantage de “l’Histoire d’un homme véritable” réalisé d'après le roman de Polevoï. J’y ai appris combien la volonté est précieuse. Depuis, je me demande à chaque occasion : ai-je assez de volonté pour vaincre mes faiblesses ? Je pense que c’est une bonne méthode. Souvent la paresse me gagne, ma conscience me fait mal. Quelquefois (mais je vais le surmonter), il m’arrive que tout en sachant que ce que je fais est mal, je n'arrive pas à m’arrêter. C’est tellement bon d’arriver à s’estimer (mais pas trop). Depuis ce film, je vois plus clairement, surtout dans mes problèmes. J’en ai énormément, mais j’en parlerai avec le temps.*

Je commence maintenant la description de la suite sur le passé.

Mes parents faisaient partie d’une couche supérieure de la petite bourgeoisie, ce qui m’avantagea à l’école communale, mais pas autant qu’Anna, la fille de docteur chef qui était très belle en plus.

Je me souviens que nous étions sur le même banc avec Magdie Weiss, plus tard appelée « Judith », elle était ma meilleure amie, ma seule amie pendant les trois ans et demi d’école. Nous nous disputions sans cesse et nous réconciliions rapidement, nous jouions souvent chez elle, des fois chez moi, nous nous amusions chaque jour. Son père, Joseph disait plein de blagues, il était bossu. Je n’aimais pas trop sa mère Marie qui la battait.

J’étais gâtée davantage. Je me souviens, qu’en revenant de la maison après mon premier certificat, contre les protestations de ma mère, papa m’a donné un sou pour que je ne m’attriste pas d’un 3 et de quelques 2 que j’avais obtenus à côté des 1 qui était la meilleur note.

Magdie et moi, nous promenions souvent nos poupées sur notre rue (j’habitais le 4 et elle au 36.) Mais si je devais décrire tout ce dont je me souviens de ces quatre ans, ce serait trop, je me rappelle pas mal et probablement même des choses sans aucun intérêt.

Je me souviens qu’à l’école, on nous faisait peur des « rouges » et que l’institutrice battait ceux qui avaient des poux. Ève, une camarade de classe s’est moquée une fois de Magdie « juive » et une autre fois nous a fait frapper Zeni, la roumaine. Finalement, nous nous sommes unies, Magdie, Zeni et moi, nous avons pourchassé Ève après l’école et jamais plus nous n’avons joué avec elle. Zeni, quand on lui avait demandé quelle religion elle avait, elle avait répondu « roumain », ne voulant pas croire qu’orthodoxe c’était différent.

Je me souviens qu’en se battant une fois avec moi, Magdie m’avait bousculée et je l’avais frappée avec une pantoufle. J’avais fais semblant de pleurer, mais nous nous sommes réconciliées rapidement, comme d’habitude. J’ai l’impression que j’aurais voulu la dominer. J’étais heureuse que ses parents étaient plus pauvres et que j’avais reçu plus de bonbons qu’elle pour Saint Nicolas, j’étais horrible. Comme je voudrais que cela ne soit pas vrai, combien il me fait mal d’écrire cela. Mais… je j’arrive plus à continuer.

On voit de tout ce que je viens d’écrire qu’on doit bien réfléchir, toujours à ce qu’on fait. Ensuite, c’est trop tard pour avoir des regrets et ils ne comptent pas!
Il a fallu cinquante ans pour que la culpabilité ressentie depuis sa disparition, envers Magdie partie en fumée,soit soulagée. Tout me faisait mal à l’époque et comme je ne pouvais écrire sur le présent, maman me conseilla le passé.

Il a fallu 50 ans pour qu’une nuit je me réveille en me rappelant : même si une fois mes pensées n’étaient pas belles au sujet de nos moyens, c’était justifié par le comportement pendant ce St Nicolas des parents de Magdie (en cachant les bonbons, que je le savais, maman m’avait achetés avant de partir en vacances avec papa). En plus, je me suis rappelé que pendant deux ans je suis allée la chercher, j’ai pris sa main et je l’ai conduite à l’école : arrivant d’un petit village, elle avait peur d’y aller seule,. J’avais tout fait pour qu’elle s’acclimate et se sente à l’aise.

* Et pour l'arrestation de papa au milieu de la nuit, je n'étais responsable non plus en aucune façon. Il nous reste toutefois des culpabilités qu'on traine avec nous tout la vie.

Seize ans, le coeur lourd

26 mai 50

J’étais donc dans ce temps-là une petite fille égoïste, jouant, étudiant. A sept ans, j’ai cassé ma jambe. Au début, mes parents ne voulaient pas croire qu’elle me faisait vraiment mal (seul mon arrière grand-mère m’avait crue), plus tard les rayons x l’ont confirmé et on l’a mise dans le plâtre pour six semaines. Depuis, je ne peux plus courir.

Je ne savais rien de la guerre, je ne comprenais pas bien de quoi les adultes parlaient entre eux, jusqu’à ce que je le ressente sur ma propre peau.

La troisième période de ma vie commence en mars 1944 quand la guerre est arrivée jusqu’à moi, et s’étend jusqu’à l’armistice de mai 1945.
Le 16e anniversaire, 12 juillet 1950, je l’ai passé derrière le tribunal, où nous guettions pour apercevoir mon père descendant du camion pour être inculpé. Un mois après il était libéré « erreur. » Une semaine après qu’il est revenu, maman s’est brûlée fortement.


19 Nov. 1950

Avant tout je dois renforcer ma volonté, c'est à dire réaliser ce que je décide. Il n'y a rien de plus horrible que de décider quelque chose, de ne pas le faire et ensuite de se mépriser. En plus, il faut que je commence à étudier très sérieusement. Je ne dois lire aucun livre amusant tant que je ne sais pas bien toutes mes matières. Ne pas dormir trop par paresse. Servir mon père en tout (lui préparer à manger), ranger l’appartement et faire tout pour que maman se sente mieux. Être gentille avec touq, regarder leur bon côté, parce que tous sont mieux que moi. Regarder le bon côté de chacun. Le plus important: accomplir tout ce que j’ai écrit.

Je viens de découvrir Les poètes du 19e siècle de Petöfi :

Que personne ne prenne facilement
la guitare dans tes mains !
Un travail énorme attend celui
qui la prendra. Ne le fais pas en vain !

Si tu ne sais faire autre chose
que chanter tes peines
et tes joies mets ta guitare de côté
le monde n’a pas besoin de toi.

Il y a des prophètes trompeurs affirmant:
on est déjà à la terre promise
on peut s’arrêter, on y est arrivé

Mensonge, immonde mensonge,
que de millions le prouvent
qui au soleil, affamés, assoiffés
et affligés vivotent.

Quand dans le panier d'abondance
tous pourront prendre de la même façon
quand le soleil brillera pour tous,
alors disons: arrêtons-nous! ici est le Canaan

Et jusqu'alors? il n'y a pas de tranquillité
il faut sans cesse lutter, créer, chanter.

Encore, Julie ne put écrire ce qui c'était passé avec eux.

Elle n’a rien écrit donc sur son père emmené au milieu de la nuit par la police secrète roumaine (elle avait 15 ans et demi.) Sa mère lui interdit de peur qu’on saisisse son journal comme on avait emporté tous les siens. Pendant six mois ils ne savaient même pas où il était (ni lui, ni ceux qui avaient travaillé avec lui.)

Elle n'a pas décrit la “disparition” de son père emmené par la Securitate (la police politique secrète), ni la mise au ban de toute la famille : ils sont devenus d’un jour à l’autre des pestiférés. On les a déménagés dans un logement minuscule sous les toits, on a interdit à Julie de continuer à travailler avec les pionniers, on lui prit aussi sa carte de membre de l’Union de la Jeunesse Ouvrière qu’elle avait jusqu’alors portée sur les seins.

Un des copains de son père qui ne les a pas évitées ni abandonnées, pour la consoler lui a apporté ce poème qui osait dire: “il y a encore beaucoup de méchants ici!”

Elle l'avait recopié dans son cahier de poésie en y ajoutant tout simplement là-bas:

Ça fait très mal !

Conversation avec le camarade Lénine, par Maïakovski

Nous avons habillé les démunies,

il y a plus d’acier, et de charbon,

c’est bien, n’est pas?!

Mais à côté, hélas, je dois vous rapporter

Il y a beaucoup d’ordures encore

et des paroles bêtes

Jusqu'à ce qu'on les vaincra, on s’épuisera.

Sans vous, beaucoup se sont égarés déjà.

Dans ce monde, même ici,

restent énormément de salauds encore

Il n’y a nombre assez grand à les compter,

ni assez de noms pour les nommer,

Combien il y a de fripouilles, de filous,

de koulaks, des sectaristes, d’ivrognes,

de lécheurs et de flatteurs,

D’orgueil leur poitrine gonflée

stylos, insignes

sur leurs poitrines

Bien sûr, on va en venir à bout,

Mais c’est très dur la lutte contre eux.

Souvenir: Les menottes et la douche

Pendant l’été, dans le cadre du lycée technique de chimie, ils eurent un mois de “ pratique d’entreprise.” On a envoyé Julie dans une usine de banlieue.

Mais qu’était leur production principale? Elle a découvert qu’ils fabriquaient des menottes, des menottes... menottes semblables à celles qu’ils ont mises à son père avant de l’emmener.

Après le travail, il fallait se laver, il y avait énormément de poussière partout. Dans la fonderie, on faisait des moules avec du sable. Il n’y avait qu'une douche commune pour les femmes.? Elle ne voulait pas se déshabiller devant les autres! Les autres riaient, rigolaient de son excès de pudeur. Mais elle ne s’était montrée nue encore devant personne. Elle avait honte et mal. Ses règles sont arrivées avec plus de crampes que jamais, en avance.

En elle, d’un coup, tout se mélangeait. Les douches d’Auschwitz, elle, au milieu de la nuit en chemise de nuit l’arme pointée vers son nez lors de l’arrestation de son père, disparu, elle exclue de l'union. Tout ça revenait.

Julie espérait encore : « ça et ça, n'est pas bien, mais... ici, en Roumanie, tout n'est pas bien fait, mais là-bas, en Union Soviétique... »

Souvenir: Noel sombre

Noël 1949 à Bucarest, la capitale de la République Socialiste Roumaine, le Noël le plus sombre de la vie de Julie. Les derniers dix jours, tout l’univers de Julie avait basculé.

Ce matin-là, fin décembre, elle sortit de l’immeuble de six étages qu’elle habitait avec sa mère. Dix jours auparavant, on les a déménagés du grand appartement du premier étage, les entassant dans un minuscule studio, sans cuisine, sous toit, au sixième.

Habiter en haut, dans la même petite pièce que sa mère, ne la dérangeait pas. Leur unique fenêtre donnait sur l’énorme terrasse commune, couverte ce mois de décembre de neige et suggérant un espace, utilisable au printemps, personne ne montait jusque là, au sixième sans ascenseur.

Cette terrasse sera son jardin personnel, se dit Julie, son espace de vie, large, contrastant avec l’étroitesse de la pièce unique où deux lits étroits et une table étaient à peine entrés. Quelle importance?

Le printemps ? Qui sait où ils seraient à ce moment-là, qui sait ce qui arrivera jusque là, se dit Julie. Rien n'était sûr dorénavant, rien n’était prévisible. Peut-être, ils vont considérer que même ce studio de grenier, mais près du centre, est trop bon pour nous, peut-être, ils nous prendront de nouveau à l’improviste et nous emmèneront, Dieu sait où.

Comme avec papa, emmené au milieu de la nuit, par des gens en civil mais avec des revolvers, gens au visage sombre, agressif. Probablement, par la police politique secrète.

« Où l’emportez-vous ?
- Ne demandez pas ! » avaient-ils répondu menaçant les hommes en civil avec revolvers.

Ce matin-ci de fin décembre, les vacances scolaires n’ont pas encore commencé, on faisait attention de les mettre après Noël et pas pendant des périodes religieuses, interdites, dépassées.

Julie décida d’aller au lycée en traversant la place de la République, l’ancienne place Royale. L’énorme sapin de Noël, rebaptisé maintenant “ sapin d’hiver ” devrait être déjà là. Elle se souvint du magnifique sapin décoré de l’année dernière. Depuis deux ans, ses parents ne voulaient plus de sapin de Noël à la maison et elle avait été toute contente de cet énorme sapin, destiné à tous les habitants de la capitale roumaine.

Le chemin vers le lycée ne se rallongeait que de cinq minutes quand elle passait par là et, comme d’habitude, elle partit suffisamment d’avance. La place de République n’était qu’à quelques minutes de leur appartement. Sa mère s'est d’ailleurs demandé si ce n’était pas la raison principale de la disparition de son mari, emporté dix jours avant au milieu de la nuit. Quelqu’un avait voulu récupérer leur logement central, pas seulement occuper la place de directeur.

Julie déboucha sur la place, près de l’hôtel élégant Athénée Palace et de la petite église. Le sapin était là, plus énorme et plus régulier encore que l’année dernière; plus grand même que l’église dont il boucha presque l’entrée.

De toute façon, la petite église étant à côté de l’immeuble du ministère de l’Intérieur (dans le cadre duquel travaillait la Securitate, l’infâme police politique secrète), qui aurait osé entrer dans l’église à leur vue?

Elle regarda le sapin et eut un choc.

Sur le sapin, comme des énormes têtes sanglantes, d’énormes boules rouges, aussi grandes que des têtes. Elle avait l’impression d’y apercevoir la tête de son père.

Ce n’est pas vrai ! se dit-elle pour se rassurer. Papa doit être encore en vie, ainsi que les six autres qu’on a emportés dans le même nuit. Elle se força à regarder, à voir des boules ordinaires, elle ne réussit pas. Elle détourna ses yeux, épouvantée de ce qu’elle croyait voir, malgré tout son bon sens, qu’elle voyait même avec des yeux fermés, détournés maintenant.

Elle frissonnait et glissa, tomba presque sur une plaque de glace.

Et si elle passait devant les fenêtres de l’immeuble de la Securitate? La petite ruelle était bien gardée mais n’était pas interdite. Ils vont sûrement me repérer quand j’y passe, se dit﷓elle mais malgré tout, elle se décida.

Les fenêtres d’en bas étaient couvertes de grilles. Elle avait entendu, il y a longtemps, quand cela ne l’intéressait pas du tout encore, qu’il y avait encore cinq étages sous la terre, on chuchotait qu’ils s’y passait d’horribles choses.

Passant devant l’arbre de Noël, pardon, arbre d’Hiver, l’énorme sapin vert, les boules qui la fascinaient, dont elle n’arriva pas à détacher ses yeux, malgré elle; ces boules lui parurent encore plus sinistres, comme teintées et dégoulinantes de sang.

Où est papa ? Que lui a-t-on fait ?

Sans rien savoir sur son sort, son cœur se serrait encore davantage, en passant avec des pas volontairement sûrs, devant le sombre bâtiment du Ministère de l’Intérieur. Une intuition, un pressentiment lui disait que son père était tout près d’elle en ce moment. Dans une cellule froide.

Confirmé des longs mois plus tard. Son père s’y trouva effectivement, emporté vers une pièce chauffée seulement pour les interrogatoires.

Jour après jour et nuit après nuit, sans le laisser dormir, on lui demander de raconter de nouveau, d’écrire de nouveau les mêmes choses, cherchant le moindre mot différemment mis, pour le confronter, profitant de son épuisement, guettant un moment d’inattention, le culpabilisant de tout le travail fait et de tout le travail qu’il n’a eu le temps de faire malgré avoir besogné de leur mieux, avec son équipe, du matin à minuit pendant des mois.

Le père pressentait lui aussi, que sa fille n’était pas loin, espérant quand même que ce n’était pas dans une cellule voisine, que ce n’était pas l’enfant sanglotant jour et nuit dans la cellule voisine, espérant que ce n’était l’enfant de personne mais un magnétophone enregistré avec des pleurs pour mieux les effrayer, mieux détruire toute leur résistance.

Julie passa rapidement dans la rue gardée, serrant son manteau.

— Où allez-vous ? lui demanda une jeune garde en uniforme.
— À l’école, au lycée, répondit-elle en montrant sa serviette.
— Ne passez plus par ici !
— Bien, je croyais...
— Mieux vaut éviter cette rue, autant le jour que la nuit.
— Bien camarade, répondit-elle, se dépêchant comme quelqu’un pris en faute, coupable.

La nuit ? Elle regarda dans la direction désignée par la tête du soldat. Vis-à-vis de la Securitate, du Ministère de l’Intérieur, un Club de nuit avec d’énormes photos de danseuses pratiquement nues. Elle n’avait jamais rien vu de pareil, elle ne croyait pas que ça existe, dans ce pays socialiste, ce n’est pas en accord avec la morale prolétaire.

Julie pressa le pas, s’imaginant déjà attrapée, contrainte à se déshabiller ainsi devant des soldats. Comme celui-là, ricanant, en observant son visage affolé, ébahi.

Elle avait soudain froid aux mains. Elle frotta l’une contre l’autre. D’habitude, elles supportaient pourtant le froid. Depuis plus d’une année, elle avait habitué ces mains à supporter l’hiver sans gants, à l’instar de l’héroïne de l’Union Soviétique travaillant sur des poteaux électriques, un film vu et qui l’avait profondément impressionnée. S'habituer, devenir plus dur, plus résistant. Prête à aider la patrie à tout instant, avait-elle décidé alors. Elle était étonnée de voir ses mains rouges, pourtant il ne faisait pas plus froid que d’habitude.

Elle ne se rendait pas compte que c’est le froid intérieur qui la faisait frissonner d’un coup. Et tout ce à quoi elle essayait de ne pas réfléchir, ne pas s’attendrir. Elle pressa le pas.

Souvenir: La première cuite

Un mois à dû se passer après cette fin d’année.

Á la sortie de l’école, il faisait déjà nuit, une nuit sombre, sans étoiles. Comment s’évader de tout ça? Comment noyer son chagrin?

Les autres camarades sont restés, la réunion de l’union continue. Et moi, se dit Julie, je suis exclue. Ils m’ont retiré ma carte, ma carte de membre que je portais depuis une année au coeur.

Julie se rappela la réunion au Centre d’Arrondissement de UTM, la réunion des Conducteurs de Pionniers dont elle faisait encore partie il y a trois jours. Elle était allée à cette réunion, sans se douter un instant qu’on l’obligerait à faire l’autocritique, à déclarer et reconnaître, malgré elle, qu’elle avait mal travaillé avec les enfants, et même suggérer qu’elle l’avait fait intentionnellement, avec malveillance. Que tous les autres voteraient contre elle et qu’avant de sortir, ils lui prendraient sa carte de membre qu’elle avait toujours tenue sur les seins dans un petit sac spécialement confectionné par elle-même. C’était tellement injuste !

Julie commença à pleurer, mais les larmes coulaient davantage à l’intérieur.

Noyer son chagrin !

On disait que boire peut aider, elle avait lu cela dans les livres. Elle passa devant un bar du coin, près de sa maison, c’est la première fois qu’elle le voyait vraiment.

Soudain, Julie se décida, elle entra et demanda une bière.

— Quelle bière ? dit le serveur.

— N’importe, l’habituelle.

— Une chope ?

— Bien.

Julie ne comprenait pas ce que cela voulait dire, mais qu’importe. Elle n’avait jamais bu de bière auparavant et seulement deux fois dans sa vie des petits verres de vin, acide, non, elle n’aimait sûrement pas ça.

Julie n’avait pas encore seize ans, mais personne ne demanda son âge. Blottie dans un coin du bar, la frêle et mince fille brune, regarda avec étonnement l’énorme chope de bière qu’on lui avait servie. D’accord, alors enivrons-nous.

Au fur et à mesure des gorgées de ce liquide un peu amer mais buvable, cela descendait de plus en plus difficilement. Le sommeil l’écrasait et le brouillard dû à la chaleur et à la fumée de bar lui semblait de plus en plus dense, impénétrable, le chagrin lui pesait davantage.

Rien n’était oublié. Au contraire, tout paraissait plus sombre.

Julie ne termina pas sa chope; un gros camionneur, avec un visage tout rouge l’interpella et elle s’enfuit, regardant derrière, si quelqu’un la suivait. Elle pressa le pas. Non. Personne derrière elle. Heureusement, elle n’en avait pas pour longtemps à arriver. Monter des marches, geste d'habitude facile, paraissait une corvée interminable. Elle arriva au sixième toute essoufflée.

Elle avait la nausée et le cœur aussi lourd qu’avant.

À quoi sert-il à boire ? Elle ne se sentait soulagée en rien, juste très très fatiguée. Ce chagrin devenait encore plus menaçant, plus pesant, sa tête tournait. C’était la dernière fois, l’unique fois, qu’elle avait essayé de noyer son chagrin en buvant.

Heureux encore que sa mère ne soit pas déjà revenue du travail. Ce matin, sa mère lui avait annoncé qu’elle irait s’inscrire à l’école, essayer de passer son bac, terminer ses études interrompues (par la décision de son père) à seize ans. Peut-être à cause de cela, elle n’avait pas songé à demander à sa fille d’arrêter ses études et de travailler pour qu’elles gagnent un peu plus.

Jamais plus, Julie ne passa devant le Ministère de l’Intérieur et de peur du spectre des ballons rougis de sang, flottant devant ses yeux épouvantés, elle ne passait pas cet hiver-là à travers la Place de la République, non plus.

Huit mois plus tard, son père est revenu, maigri, affaibli. Il raconta qu’effectivement, les deux premiers mois, ils étaient tous là, sous le bâtiment du Ministère de l’Intérieur.

Plus tard, beaucoup plus tard seulement, il raconta les interrogatoires sans fin, les pleurs des enfants entendus pendant les nuits, le prisonnier de sa cellule, brûlé au bras et à l’épaule, encore et de nouveau sur le même endroit, pour lui faire avouer où il avait caché les bijoux de sa boutique.

— Et toi ?

— On ne m’a jamais touché.

— Comment ?

— J’ai réussi à redire chaque fois ma vie de la même façon. J’ai appris à répéter sans changer un mot, de la même façon. Sans me contredire, sans mentir.

Beaucoup plus tard, il ajouta aussi : “ Et sans tout dire non plus, dire seulement ce que j’avais décidé, je ne leur avais pas dit certaines choses, pourtant j’avais si peur qu’ils les découvrent... ” Il n’en parlait pas souvent, pourtant il n’a jamais oublié.

Les raconter entre lignes

Même après... la mère de Julie ne lui a pas permis d’écrire ce qui s'était passé. Finalement, l'idée lui vint d'introduire les mots qui la brûlaient trop, au milieu des textes sur sa jeunesse.
Les italiques ne sont pas dans l’originale.



16 septembre 1951

Je continue mon journal car je voudrais arriver au présent le plus rapidement possible. Bien sûr, plus on grandit plus de choses nous arrivent, on observe plus et on se rend mieux compte. On ne peut plus tout décrire en détail, mais j’essayerai de faire ressortir le plus important.

J'ai déjà décrit la période 1944-45 dans mon premier journal, que j'ai reçu quand nous avons entendu pour la première fois les bruits des canons. Mais dans ce journal mon horizon était encore très étroit, et j'ajouterai ici quelques détails et pour le reste, je relirai mon premier journal. On peut voir dans ce journal que je ne m'occupais que de moi, mais je n'ai commencé à comprendre ce qui arrivait qu'après les événements qui me touchaient directement.

Pendant longtemps je n'ai rien écrit. Pourtant pendant ce temps-là beaucoup de choses nous sont arrivées. Ma mère et les circonstances m'ont empêchée de continuer.

Les obus tombaient. La maison où on se cachait a été sérieusement endommagée. Finalement, les Russes tant attendus sont arrivés. Ils descendaient la colline sur des chariots. Aux premiers soldats qui sont entrés dans la maison, on a offert du vin mis de côté pour cette occasion et ils ont trinqué avec papa. Ensuite, les suivants se sont comportés plutôt comme des ennemis : “davai cas” (donne ta montre), etc. Une armée ne peut être sans défauts. Ils venaient la nuit ‘contrôler’ et volaient tous les objets sur lesquels ils pouvaient mettre la main, entre autres emportant mon petit sac à dos où étaient mes poèmes et mes pièces de théâtre et tout ce que j’avais mis de côté, économisé. Ensuite un lieutenant russe a emménagé avec Julia, et a chassé ceux qui venaient sans permission.

Je n’oublierai jamais, la nuit, où des soldats sont venus et m’ont réveillée en pointant leurs armes tout près sur moi. Nous avons dû remonter dans la cuisine et maman a dû me donner un tranquillisant. J'avais extrêmement sommeil, mais les soldats m'ont empêchée de bouger, me coucher, il fallait rester là, sinon...

Mes parents ont réussi à me protéger de tous les désagréments, autant qu’ils ont pu. Je n’ai pas eu faim, ni d’autres malheurs que mes parents ont eus. Le lendemain on a emmené mon père, pour travailler.

Finalement, il a réussi à obtenir qu’on nous laisse passer à Pest.

Nous avons mis sur ma luge toutes les affaires que nous pouvions, et nous avons traversé en quatre heures le Danube à pied, sur la glace (allant pas à pas pour ne pas tomber dessous.) Nous avons habité quelques jours chez une cousine de maman où il y avait déjà de l'eau chaude, et nous avons pu prendre un bain. Une fois, j’ai même reçu un œuf en cadeau. Combien de temps nous avons discuté avec maman sur la façon de le préparer!

Ensuite nous sommes partis sur une camionette découverte vers la Transylvanie. Je me rends compte que ne n’ai rien dit de mai à décembre. Pourtant beaucoup de choses nous sont arrivées.


Je ne l’ai jamais regretté
Souvenirs

J'ai été séduite par l'idéologie communiste vers 14 ans et je suis devenue de plus en plus active. Mon rêve était de m’occuper des enfants "pionniers"(une sorte de scout), portant la cravate rouge. Je voulais devenir leur guide. Seulement les meilleures élèves, bonnes et obéissantes pouvaient rentrer chez eux, avoir droit à la cravate rouge. Enfin, à 15 ans, on m'avait confié un groupe dans une école à Bucarest. Á peine avais-je commencé à m’occuper d'eux - et fort bien - on m'a appelée au siège de l’Organisation de la Jeunesse Ouvrière, on m'a critiquée et on m'a retirée de ce groupe; en plus, on m'a demandé de rendre ma carte de membre. Carte que je portais à l'époque, sur mon cœur, dans un petit sac cousu par moi spécialement pour ça.

Rendre mon carnet caché sur mes seins, sous ma robe, mon carnet mérité et chéri me faisait, à l'époque affreusement mal et ne pas m’occuper de mes pionniers, aussi. Surtout, puisqu'ils n'avouaient pas le vrai motif de tout cela : mon père venait juste d'être emprisonné par le Service Secret "Securitate" de Roumanie. Ils l'ont emmené une nuit et depuis, nous ne savions plus rien sur lui, il était tenu "au secret", et il était "incommunicado".

Je me sentais exclue, malheureuse, une paria. Coupable, sans savoir de quoi. Qu’avais-je fait?
Je savais pourtant que j'avais travaillé sans relâche et honnêtement comme on nous le demandait.

Sept mois après, mon père a été relâché. "Erreur" lui a-t-on dit. Ils m'ont rappelée moi aussi ensuite au mouvement de jeunesse. "Erreur" m'ont-ils dit à moi aussi. « Bon, on te rend ton carnet, on te donnera d'autres pionniers, cette fois à l'école hongroise, puisque tu parles mieux hongrois que roumain. » Je n'ai plus remis le carnet sur mon cœur et je n'étais plus dorénavant celle qui obéissait en tout, qui croyait aveuglément en tout ce qu’on lui racontait.

Justement, nous nous préparions à élire un nouveau groupe de pionniers. Parmi elles, il y avait une petite fille de 8 ans, aux cheveux blonds.

— Aide-moi ! m’implora-elle, secouée par les larmes qui coulaient de ses yeux bleu foncé. On ne veut pas de moi, pourtant je suis obéissante et aussi bonne élève, je n’ai que des bonnes notes.
— Pourquoi ne veut-on pas d'elle? ai-je demandé aux autres.
— Elle est absente trop souvent, m’ont répondu les autres.
— Quelquefois, je ne peux pas venir. Je suis enfant de cirque, on a besoin de moi pour le numéro ou pour des répétitions. Nous faisons de la voltige, cinq heures de répétition par jour. Venez voir maman, elle vous l'expliquera.
Je suis allée au cirque, ils habitaient dans un wagon étroit. Sa mère me dit :
— Ils ont arrêté mon mari, on l’a emmené il y a trois mois.
C'était pour cela qu'on ne la voulait pas comme pionnier.

— Mais elle a tellement de chagrin, faites quelque chose. Elle travaille tellement d’heures ici, pour son numéro de voltige, ce serait dangereux si elle ne répétait pas avec les autres. En plus, elle prépare soigneusement les leçons pour l'école, elle fait tout pour pouvoir suivre les autres. Elle fait tant d’efforts. Elle travaille tant. Ce n'est pas sa faute, si son père est en prison.

J'ai essayé de convaincre la circonscription du mouvement de donner une cravate rouge à cette petite fille, enfant de cirque, de la laisser entrer, elle aussi parmi les pionniers.

— Elle est une bonne élève, même son institutrice l'a affirmé, obéissante, gentille. Ses absences, le reste, ce n'est pas sa faute!
— Non. Puis plus tard, on m’a dit: "on verra".

Le jour de fête, le jour de la distribution de cravates rouges est arrivé. Tout le monde chantait, sautillait. La petite fille de cirque pleurait.
— Et moi? Et moi ?
— Vous n'avez rien fait pour elle? ai-je demandé.
— Mais il n'y avait pas assez de cravates...
— Bon. Je lui donnerai la mienne.
C’est ce que j'ai fait ce jour-là.
Un mois après, je n'étais plus responsable des pionniers, on ne m’a plus confié une responsabilité. Mais je n'ai jamais regretté ma décision de donner ma cravate, un matin de printemps à cette gamine qui la méritait, qui la désirait tant.

Elle voulait être comme les autres. Appartenir. Ne pas se sentir encore plus exclue. Ce n'était pas de SA faute si son père était en prison. Ni celle de mon amie Édith dont on a emmené la mère; la rendant folle en deux mois; puis mise dehors sur une civière, horriblement amaigrie, sans dents.

Je ne sais pas ce qui est arrivé au père de la petite voltigeuse, mais la mère de mon amie Édith n'est jamais sortie de diverses maisons de santé mentale. Édith a réussi à s'en tirer grâce à mon amitié et au soutien de son père. Il était divorcé et déjà remarié avec une doctoresse chaleureuse.

Le père de Simon, mon premier flirt, était aussi en prison pour "sabotage". Á l'époque, si quelqu’un gênait, on le dénonçait et voilà, on en était débarrassé... pour longtemps ou pour toujours. Nous le savions, cela arrivait de plus en plus souvent. Ça se passait tout autour de nous.

Mais la carte de membre, j'y tenais encore, malgré tout, même si c’était moins qu'avant. Un jour, elle est tombée de mon cartable, je l'ai perdue. Je n'osais pas l'avouer, c'était considéré comme un crime.
On l'a retrouvée.
— Quoi? Tu ne la portes plus sur toi? Comment as-tu fait pour la perdre? On ne te la rendra que dans trois mois, pour te punir.
Je regrettais encore. Mais pas assez pour la remettre sur mon cœur, l’attacher sur mon cou. Je pensais déjà "ça et ça n'est pas bien, mais..." Je me disais encore "Ici, en Roumanie, tout n'est pas bien fait, mais là-bas, en Union Soviétique... " Jusqu'en 1956, jusqu'à la révolution hongroise, réprimée par les Soviétiques.
Alors, mes dernières illusions se sont envolées. Mais...
Malgré tout, après tout ce qui s’était passé, je tenais encore à ma carte. J'ai eu encore mal au cœur, au moins un pincement, quand, des années plus tard, en même temps qu'on m'a exclue comme "Ennemie de peuple" du travail mais aussi empêchée de terminer mes études, juste avant leur fin; on a ajouté « rends ta carte: tu es exclue aussi du Mouvement de Jeunesse Ouvrière. » Sur le moment, le geste de mettre ma carte sur la table du directeur me heurtait plus que tout. Le reste, je l'ai ressenti, je l’ai pleuré plus tard.

J’ai guéri, mais cela a pris du temps, beaucoup de temps. Je me rappelle avec attendrissement l’adolescente portant religieusement sa carte de membre entre ses seins.

Pourquoi tout cela me chagrine-t-il encore ?

Souvenir: Enfin une amie!

Enfin une amie !

Noël et nouvel an, à 16 ans et demi. Julie apprend que plusieurs élèves de sa classe vont passer la soirée de nouvel an chez l’une d’eux, Alina, parmi eux Moïse son béguin. Où habitait-elle ? A la dernière minute, elle obtient l’adresse. Surprise : la maison d’Alina Plonski était seulement deux petites rues plus loin, où habite Julie depuis deux mois.

Le soir du réveillon, elle se pointe chez Alina avec un gâteau au cacao fraîchement confectionné.

— Puis-je passer la soirée avec vous ? demande Julie.
— Bienvenue ! Je suis heureuse que tu sois venue aussi. Entre ! me répondit Alina avec un grand sourire, m'ouvrant sa porte.

La soirée battait son plein, Julie avait hésité à y aller sans avoir été invitée. Pourtant, tout ce qu’elle aurait perdu : une merveilleuse amitié.

Moïse était déjà là, sa tête sur les genoux d’une autre fille. Julie ne réussit pas à lui dire plus d’une phrase pendant toute la soirée. Presque tous étaient venus en couple.

Alina et Julie se sentaient seules, elles ont commencé à parler et à deux heures de matin, quand tout le monde était déjà parti, elles parlaient encore. Finalement, vers trois heures, Julie se décida à partir, mais Alina la reconduisit jusque chez elle, en profitant pour continuer à discuter .

Le lendemain, elles sortirent ensemble de l’école et allèrent d’un pas lent vers leurs maisons. Sur la route, Alina, mi polonaise, lui raconta qu’elle voulait suivre les traces de Marie Curie, polonaise, elle aussi, et qu’elle allait donc étudier la fission nucléaire. Tout comme Julie, elle aussi avait été conducteur de pionniers et exclue à cause de son père.

Julie n’avait pas entendu encore parler de Curie, Alina lui parla de sa vie.

— C’était une dure vie, de travail acharné, dit Julie.
— Oui, c’est une jolie vie, dédiée aux recherches, répondit Alina.

C’était la vie qu’elle s’était choisie, la vie qu’Alina avait vécue.

Quelques mois plus tard, le père d’Alina, polonais, décéda et Julie veilla toute la nuit avec son amie, dorénavant sa meilleure amie, et la consola. Alina ne se sentit plus seule; elle aussi avait maintenant une amie à qui se confier, sur qui compter, à qui parler.

Ainsi commença une amitié qui durera tant qu’elles vivront.

Journal 1951 sur été 1944

Dimanche, le 13 octobre 1951

Je suis entrée en dernière année (du lycée technique de chimie.) Irai-je à l’université? J’ai fait plein d’inexactitudes dans ce journal, même des fautes d'orthographe. Dois﷓je continuer mon ‘autobiographie’ ? Je viens de me rendre compte que j’ai oublié dans mon journal la période de mai à fin 1944. Pourtant beaucoup de choses se sont passées pendant ce temps.

Nous sommes arrivés à Budapest, habitant au début chez les Déri, pas longtemps après leur petite fille eut la rougeole et, bien que finalement je ne l’aie pas attrapée, nous sommes restées six semaines en quarantaine. Je me suis ennuyée pas mal. Elle était mignonne, mais beaucoup plus petite que moi. Heureusement, un copain de papa m’apporta ma grande poupée que j’avais dû laisser chez nous.

Un matin, maman m’a écrit en secret sur un papier nos nouveaux noms et prénoms. Je trouvais cela curieux, mais intéressant. J’ai su plus tard qu’on utilisait les vrais papiers d’une famille du village de papa, leurs âges étant voisins des nôtres. Mais selon les papiers j’avais une année de plus, oh, comme j’en ai été fière! Chaque fois que mes parents m’appelaient Julika, je recevais une pièce trouée de 20 centimes; j’avais un collier entier de pièces vers la fin, jusqu’à ce que mes parents se soient habitués. Pour moi c’était facile, je disais seulement: maman, papa.

Ensuite, nous avons voulu déménager dans un sanatorium. Nous étions déjà sur la route pour y aller, mais dans le taxi maman s’est rendu compte qu’elle avait perdu sa bague (je crois que c’était des diamants) et nous ne sommes pas partis - malgré tout ce que papa a pu dire. Le lendemain mes parents ont appris qu'à cet endroit où nous ne sommes pas arrivés ce soir-là les miliciens ont fait une rafle et qu'on avait tué tous les juifs qui sont tombés dans le piège du propriétaire.

Finalement, nous nous sommes réfugiés à Obecse, un village sur la frontière serbe, pas loin de Ujvàr, sur la rive droite de la rivière Tisza. C’était un village très riche de Bàcska. Là-bas nous avons joué déjà le rôle de la famille nouvelle.

Maman allait tous les dimanches à l’église catholique (avec des gants blancs) et moi avec papa à l’église protestante. Papa travaillait comme magasinier dans la fabrique, l’usine du frère de maman .

Nous sommes restés là six mois. Nous avons mangé beaucoup de bons fruits et des énormes fraises. J’ai beaucoup nagé dans la Tisza et j’étudiais l’allemand avec maman. Nous avons fêté mon vrai anniversaire en grand secret (comme il ne correspondait pas à celui qui était sur nos faux papiers), je me souviens que j’avais sur moi une robe blanche et rouge et j’ai reçu cinq livres dont l’un, “Croc blanc” de London m’a beaucoup plu, il s’agissait d’un chien. Papa a eu un collègue russe, il écoutait la radio étrangère chez lui et sa femme disait la bonne aventure à maman en lisant dans le marc de café. J’ai vu des films, entre autres “Un pantalon, une jupe” avec Latabàr.

J’ai même fréquenté l’école du village pendant trois semaines. Il y avait une baignoire et de temps en temps on pouvait prendre un bain. Nous apportions les repas d’un bon restaurant, ensuite c’est maman qui faisait la cuisine.

C’est à Obecse que j’ai eu mon premier succès. Un garçon génial, plus âgé que moi (de quatre ans !) me faisait “la cour” : nous nous sommes même promenés ensemble une fois dans la Grande Rue du village; une autre fois je suis allée chez eux, sa mère m’a promis de me prêter des livres. Les Russes s’approchaient et elle n’a pas eu le temps de me les donner.
Les Serbes du village haïssaient les Hongrois et nous étions là comme hongrois. Mes parents ont pensé que jusqu’à ce que nous expliquions que nous sommes juifs et pas leurs ennemis, nous ne vivions plus.

Nous sommes donc repartis à Budapest avec un train, plein de vivres avec nous. Et je n’ai jamais pu revoir mon premier copain. Papa est venu après nous, plus tard... mais de ceci je parlerai une autre fois.

J'étudie depuis douze ans

11 février, 1952

Nous avons habité à Pest quelques jours dans un hôtel plein de miliciens, on ne cherchait pas des juifs justement là. Un des officiers m’a même photographiée, mais j’ai perdu cette photo, pourtant très réussie, maman me disait que je serais vraiment ainsi à seize ans. Et aussitôt, elle m’interdit de descendre dans la salle à manger.

Après le discours à la radio du régent Horthy puis du Szàlasi, le chef des miliciens, que le diable les emporte! nous avons déménagé dans la villa de madame Kocsis à Buda où papa devint concierge. C’est alors que j’ai commencé mon premier journal qui n’est pas trop complet.

À mon retour à Cluj, j’ai étudié au collège hongrois jusqu’à la fin de l’année scolaire, puis pendant deux ans au collège roumain et la dernière année au collège protestant hongrois de la ville.

En relisant mon journal d’alors, je me rends compte que j’ai peu écrit pendant cette période. Dans l’école roumaine j’avais des notes faibles, par contre dans l’école hongroise, où ma voisine Ditta étudiait aussi, j’ai réussi à avoir une bonne moyenne (16,60) et j’ai aussi bien passé mon concours d’entrée au lycée (en 5e).

J’ai écrit ensuite un deuxième journal qui se termine quand j’ai reçu mon carnet de UTJ. Je suis déjà membre depuis 2 ans et demi.

De 1945 à 1950 d’énormes changements ont eu lieu en Roumanie. En quelques mots seulement: le roi a “démissionné”, les fabriques sont devenues les nôtres, les mines, les forêts aussi. Le parti communiste a complètement gagné et il a pris en main la conduite de tout le pays.

J’ai beaucoup lu et j’ai connu beaucoup de gens dans cette période.

Je constate que j’ai peu écrit de la période ... Quand j’en aurai envie, je les décrirai. De toute façon, mon journal ne deviendra pas un chef–d’œuvre. Cependant il est quand même bon pour : 1) écrire ce que je pense, mes douleurs (mais après quelques mois elles me paraissent souvent insignifiantes) 2) à partir de mes journaux je pourrai raconter à mon mari comment s’est passée ma vie avant notre rencontre.



Mais revenons au présent.

Pour la terminale du lycée Technique de Chimie, j’ai réussi à entrer dans la meilleure section: à la “Synthèse des Médicaments et des Colorants”. J’ai étudié beaucoup, pendant l’année avec des résultats moyens (une moyenne d'environ 16,60), par contre mes examens de fin d'année ont très bien réussi.
Synthèse chimique 20 Médicaments 18 Comptabilité 20 Matières intermédiaires 18 Colorants 18
Mon meilleur enseignant a été Kulcser, le professeur de comptabilité, un vrai communiste, un homme très intelligent et cultivé.

Aujourd’hui je viens de finir mes études de lycée. Que le temps passe vite! J’étudie depuis douze ans. Papa veut absolument que j'aille à l’université.

Je sais déjà pas mal de choses, mais si je pense que j’étudie depuis 12 ans, je suis effrayée - je n’aurais appris que ça? J’ai devant moi quelques grands problèmes : mon diplôme de fin d’étude et mon entrée à l’université. En plus il y a énormément d’autres soucis, mais comme ils ne concernent pas seulement moi, je les décrirai plus tard.


17 février, 1952
Depuis trois jours je vais à l’usine. Je m'y sens bien, en général. Nous allons sûrement apprendre pas mal, les gens sont assez sympa et la section où je travaille me plaît. Je dois me faire un plan, je dois noter dans mon cahier de stage les détails sur les médicaments fabriqués ici et particulièrement dans l’unité où je travaillerai dans les trois derniers mois de mon stage de fin d’école. Je dois rassembler de la bibliographie pour ma thèse de fin d’études de mon Lycée Technique.

Je voudrais m’entendre avec les trois ingénieurs de cette section, pour qu’ils m’aident plus. Je voudrais étudier sérieusement l’histoire, le roumain, et l’idéologie pour l’examen d’entrée à l’université. Mercredi j’irai au théâtre et si j’ai du temps j’irai aussi au cinéma. Chaque jour je me réveille à cinq heures du matin, je devrais me coucher avant dix heures du soir. Il faudra faire un saut à l’école; commencer à étudier “les Appareils Chimiques” - et lire le roman Ana Karina de Tolstoï. C’est un énorme programme, j’espère le réaliser en grande partie. Si je le réussis, j’aurai une belle et utile semaine. Dans sept jours je noterai où j’en suis.

25 février, 1952
Voilà d’abord tout ce que je n’ai pas réalisé: je n’ai pas étudié le roumain et très peu l’idéologie communiste, je n’ai pas recopié l’histoire de l’hydrazine, je n’ai pas réussi à me lier avec les ingénieurs, ni à trouver Ana Karina. Mais j’étais voir deux films et samedi j’ai étudié Les Appareils Chimiques à la bibliothèque.

On ne me laisse pas fréquenter l'université

8 juillet, 1952

Depuis mes derniers écrits beaucoup de choses me sont arrivées, je les décrirai plus tard. Plus tard? Pourquoi ? Non, tout de suite:

J’ai fini le stage pratique, j’ai lu Ana Karina. J’ai fini mon projet et j’ai passé mes examens de diplôme avec 20/20 en Roumain, 18 en Histoire, 18 pour mon Projet (j’aurais mérité 20!) À la fête de la fin d'études du lycée on m’a même donné une mention: “Bonnes études, bonnes activités sociales et bonne conduite”. J’ai terminé troisième de notre promotion.

J’ai fini mes études très bien, mais malgré tout, on m’envoie dans une usine; peut-être là, où j’ai fait mon stage. J’espère qu’au moins le Ministère me permettra cela. Je pourrais m’inscrire à l’Université par Correspondance. Et continuer mes activités d’U.T.J. restreintes; mais la cellule est faible dans cette usine.

On ne me laisse pas m’inscrire à l’université parce que mes parents sont des petits-bourgeois et maman a été exclue du parti. Seulement à cause de cela, on ne veut pas me laisser fréquenter l’université.Papa est énormément abattu, il essaie encore d’intervenir. Maman et moi, nous ne serions pas si tristes : dans un an, la fabrique m’enverrait à l’université peut-être, mais papa ne veut pas que je ne puisse continuer mes études, et moi aussi, de temps en temps, je voudrais les continuer.

Je ne sais vraiment pas que faire. C’est difficile de réfléchir avec sa propre tête.
Samedi j’aurai 18 ans, je suis donc une grande fille. Ma tête, l’image de Staline au-dessus mon lit et la brochure “Devoirs des Jeunes” de Lénine, me suggèrent: toujours étudier et ensuite l’enseigner aux autres. Ils me suggèrent aussi d'aller travailler à l’usine, comme on me le demande, dès le début du mois août; alors, s’il y a une guerre je pourrai aider davantage.

Si on ne me laisse pas combattre sur le front, comme je travaillerai, je saurai le faire déjà bien à ce moment-là. Je crois que si l’ennemi m’attrape, le mieux sera de mourir tout de suite, au lieu d’être d’abord torturée et de mourir plus tard. Je devrais déjà me préparer pour l’usine, mais je suis trop bouleversée.

J’avais aussi pensé qu’ils m’enverraient étudier à Budapest, mais ils ne vont pas me laisser là. Je n’ai plus envie d’aller à Cluj parce que là-bas il n’ont qu'une section Théorique de Chimie et ici, à cause de mes parents on ne veut pas de moi à la section de Chimie Appliquée. Je voudrais avoir quelqu’un pour me conseiller. Un vrai communiste. Ni un brodeur, ni quelqu’un plein des préjugés. Je devrais aller voir Kulcser, mieux encore le copain de papa, l’ancien communiste m’ayant aidé quand...

Je ne sais plus vers qui me tourner pour demander conseil. J’essayerai de partir pour quelques jours à Cluj, après mon anniversaire. Je devrais étudier. Depuis une semaine déjà, je passe mon temps à ne rien faire.

J’ai lu quand même Ana Karina, je suis allée nager deux fois. J’ai aussi des plans et des désirs que je ne réussis pas à réaliser à cause de mes faiblesses, souvent ma paresse momentanée. De temps en temps, on devrait faire seulement un petit effort, sinon on perd sérieusement. Je ne sais pas ce qui m’arrivera dans l’avenir, mais je voudrais enfin réussir à devenir au moins une petite et humble communiste. Telle que moi je comprends ce mot. Comme était Staline toute sa vie et encore beaucoup d’autres. Je ne sais plus que croire non plus, en particulier sur Luca et Ana Pauker [anciens ministres communistes arrêtés]. J’ai beaucoup aimé Ana d’après ce que j’avais entendu dire d’elle. Elle avait lutté pendant l’illégalité[1] avec courage et intelligence. Puis, boum. Autre chose[2].

Depuis que je me suis rendu compte que le journal “Scinteia” du parti[3] n’avait pas raison en tout ce qu’il écrivait auparavant, il m’est très difficile d’être sûre, de savoir ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas. Il n’y a pas longtemps, les mineurs de Dej se sont réunis, ils ont demandé l’amélioration de leur condition... Lénine disait de détruire les bourgeois, mais il les aidait quand même, chaque fois qu’il pouvait; par exemple sur l’intervention de Gorki il a aidé les savants en blouse blanche. Je ne suis pas assez énergique. Il me manque ce qui est chez d'autres : la volonté. 1 août, 1952 Je suis majeure, je viens d'avoir mes 18 ans, j’ai le droit de voter dorénavant.

À l’école, pourtant j’ai bien passé mon bac, on m'a dit que le Ministère ne me laissait pas aller à l’Université à cause de mes parents. Au début, on m'avait dit que je travaillerais là où j’avais fait mon stage, mais finalement, ils veulent m’envoyer à la Fabrique d'Explosifs dans la région de Brasov; ils ont aussi transféré là-bas mon prof Kulcser.

Papa dit qu’il ne me laissera pas y aller. Il est totalement détruit... quoi faire? Je vais tout essayer pour ne pas être obligée d’aller là-bas. Demain j’irai au Ministère, je demanderai à être envoyée dans ma spécialité (les produits pharmaceutiques) et dans un endroit où je pourrai continuer mes études au moins en cours par correspondance, et aussi fréquenter quelques cours du soir après le travail.Je reviens de cinq jours en balade à la montagne et puis sept jours en visite à Cluj, à Bucarest il fait énormément chaud.

Je suis très optimiste. C’est bien. Mais trop sincère, pas assez rusée, ni forte, volontaire ou égoïste. Hélas. Alina[4] obtiendra sûrement de continuer à étudier, elle est plus débrouillarde, plus rusée que moi. Je finirai l’université à tout prix, dans la constitution roumaine figure “le Droit à l’étude”. Je crois toujours. Malgré les déviations de gauche. De cela une autre fois. Marthe est du même avis et beaucoup d’autres également.

Kulcser nous avait dit : “la création du communisme est comme la naissance d’un bébé, elle arrive avec des douleurs et des difficultés mais par contre de ceci quelque chose de bien, de beau va sortir.”

Je suis déjà une grande fille. Quand serai-je amoureuse? Moise, c’était seulement un fantasme, dont je me suis rapidement guérie ! (??) La vie est belle - mais très complexe. Je me sens bien quand j’ai travaillé avec de bons résultats.Bonne nuit, mon cher journal !
[1] Du Parti Communiste[2] C’est alors qu’on a arrêté Sanyi Jacob, l’adjoint de Luca, époux de la mère d’Edith, puis aussi sa mère.[3] Communiste, il n’y avait plus d’autre.[4] Elle a rusé et obtenu d’entrer en Université, où elle voulait.

J'ai tellement de chagrin

18 août 1952

Aujourd’hui c’étaient les épreuves écrites à l’entrée des Grande Écoles. Le matin le roumain. Ils ont eu deux thèmes: “Les réalisations littéraires après la libération” ou l’écrivain Sadoveanu. L’après-midi a été consacré aux spécialités (chimie ou mathématique). Je suis allée à la bibliothèque. J’ai étudié.

J’aime beaucoup étudier. J’ai tellement de chagrin de ne pas pouvoir entrer à l’université, ceci me fait si mal. Il y a encore 1% d'espoir et j’essaie de m’y accrocher obstinément.

Oh ! que ne ferais-je pas pour pouvoir moi aussi y aller ! Mais avec ma tête bête, naïve et obéissante, après qu’on m’eut dit qu’à cause de mon origine je n’avais pas le droit d’y aller, je n’ai même pas demandé mon inscription. Voilà, ce qui arrive à celui qui depuis le début ne s’oppose pas. Si j’avais demandé mon inscription et insisté à ce moment-là, peut-être aujourd’hui je serais moi aussi en train de passer des examens en même temps que les autres, comme Alina et beaucoup d’autres de mon école. Mais c'est une bonne leçon pour moi.

Dorénavant, si je veux réaliser quelque chose et que je sais que c’est juste, je ne vais pas écouter les opinions des autres, ni me laisser détourner de mon but d’un poil, j’irai parler aussi haut qu’il le faudra, jusqu’à ce que je l’obtienne.

Je suis devenue technicien chimiste mais ce n’est que mi‑chemin ! On ne doit pas rêvasser mais agir. Cette fois c’est trop tard, hélas. J'ai tellement de chagrin.

J'ai adopté un poète de plus parmi mes préférés : François Villon (1431-1464). Son poème "Ballade au parlement" est si bien traduit ! Et il a vraiment raison :

Parce que toute bête a le droit de se défendre,

seulement moi, je fermerai ma gueule ?

non je serai encore plus bête,

si je ne disais pas que je suis innocente !

Buts et défaults: 18 ans

20 septembre, 1952

Je suis en train de lire un livre sur la vie et l’œuvre d’Ostrovski.

Il disait: “pour être homme, il faut de la volonté, volonté et encore de la volonté”. Il a aussi écrit que pour s’éduquer soi-même il faut :

"Faire un examen rigoureux, clarifier tes défauts, ce qui te manque. Ensuite, prendre une fois pour toutes une résolution bolchevique après que tu te demandes : vais-je me pardonner ou non mes défauts ? Suis-je obligée de les porter ou puis-je les jeter? Il faut ensuite te fixer alors un but clair dans ta vie et l’étaler dans des étapes. Suivre ton chemin fermement, en intervenant au fur et à mesure du besoin, améliorer ton travail, ta vie.

Ne te laisse pas abattre par des humeurs passagères ! Ne surestime pas tes forces, mais ne les sous-estime pas non plus. Il faut avoir confiance en toi !

Dans tout travail, même le plus modeste, il faut que tu mettes le maximum d’effort, pour pouvoir le réaliser le mieux possible. Ne cède pas en cas d’insuccès, repars à l’attaque encore et encore. Il faut que tu sois tout le temps active, ne t’arrête pas seulement aux bonnes intentions."


Combien il a raison ! L’homme a du temps pour tout, mais pour réfléchir sur lui-même il n’en trouve pas. Jusqu’à maintenant j'ai suivi, j’ai fait et pensé surtout ce qu'on me disait.

Pour mes 18 ans, le temps est arrivé d’analyser comment je suis, de réfléchir profondément sur ma vie passée et future et de trouver un but que je puisse réaliser à 100%. Je finirai d’abord de lire ce livre, puis j’essaierai de réfléchir à ce que je veux vraiment.

J’avais 12 ans, quand j’ai demandé près du pont Szamos :
« Maman, dis-moi, quel est le but de la vie?
— Être heureux.
— Et qu’est-ce qu’il faut pour le bonheur?
— Tu peux le trouver en deux choses: dans ton Travail et dans l’Amour, dans les deux ensemble. »

Avant de devenir membre de l’Union de la Jeunesse, je pensais qu’on doit suivre ce qui est nouveau, ainsi tu t’élèves et ne restes pas moyen. Si tu ne luttes par pour ce qui est neuf, tu te noies dans la masse ou même tombes plus bas. Je lutterai donc pour la nouveauté. Le neuf gagne toujours, me disais-je alors !

Depuis lors, mes idées se sont beaucoup modifiées : le bonheur ne peut pas être un but, seulement une conséquence. Le bonheur pour moi, c’est quand je réussis à bien réaliser quelque chose, quand je vois le résultat de mon œuvre. Un homme égoïste ne peut être heureux. Le bonheur, c’est quand tu fais du bien à quelqu’un, tu réussis à lui procurer de la joie. Si le but de quelqu’un est de rester entre les “plus hautes sphères” ou “d’être connu”, jamais il ne le deviendra.

Le but de chacun doit être décidé par lui-même, et fixé avec soin.

Sans hésitations le but devrait être: “aider à construire le communisme”. Même si tu peux ajouter une seule brique utile, après ta mort tu peux être tranquille : tu n’auras pas vécu pour rien. Mais c’est si difficile de décider.

Je dois réfléchir sérieusement. Je ne dois pas me laisser influencer par des gens comme Alina, mais plutôt par ceux comme Édith et la femme médecin qui a été en Corée pour aider les blessés. La question est dorénavant, parce que le reste est déjà décidé, (si on aide les autres on est heureux aussi soi-même) comment moi, en partant de la situation où je suis actuellement, je pourrai atteindre ce but.

Pour cela je dois d’abord m’analyser et étudier ma situation, sans ménager mon amour propre, sans m’estimer ni trop ni trop peu. Ceci est extrêmement dur. Mais il le faut.

Quand j’étais petite, je m’estimais trop, maintenant pas assez. Où est la vérité ? Comment suis-je en réalité ? Quels sont mes qualités et défauts ? Quels sont mes désirs ?

Je peux répondre à cette dernière question plus facilement.

Je voudrais devenir écrivain. C’était mon ancien, très ancien désir et il est toujours actuel. Est-ce que c’est assez important d’être chimiste ? Aujourd’hui l’électro-physique, la construction, l’éducation sont plus importantes. On doit travailler dans un domaine qu’on aime. J’aime bien la chimie, mais j’aime beaucoup plus la littérature. Mais est-ce un métier ? Pour écrire il faut du talent, du savoir, de l’expérience, etc.

Il faut aider la construction du communisme en travaillant. La chimie est belle, donc cela ne vaut pas la peine de la laisser tomber. Quel est le but de la vie ? Pas pour l’individu, mais en général ?
Je vais donc continuer la Chimie.

Entre-temps, je pourrais aussi essayer l'écriture.
1) Lire les classiques, étudier la littérature et la langue hongroise.
2) Décrire mes souvenirs, ce que je vois et ce que je sens.
3) J’essaierai d’écrire de petits récits et je les ferai lire par les spécialistes.
Si je n’ai pas de talent, je n’écrirai plus . Le devoir de l’écrivain est de “montrer la route ”.

J’ai lu ces jours-ci les discours de Lénine sur la jeunesse, il dit que leur devoir est d’étudier. D’abord sur le communisme, puis sur tout savoir que l’homme a réussi à découvrir. Ne pas apprendre par cœur, mais comprendre. Je dois étudier l’idéologie, la chimie, les mathématiques, la physique, la culture et je dois, en même temps, travailler sérieusement, ne refuser aucune tâche qu’on me donne à l’usine, la réaliser avec sérieux, le mieux possible. Travailler avec abnégation dans l’usine où on m’envoie; et pas seulement quand on me le demande.

En même temps, étudier selon un plan et lire tous les jours en route vers la maison. Vaincre la fatigue et le sommeil. Tout essayer pour pouvoir continuer mes études universitaires, même seulement à distance et sans pouvoir assister aux cours. Apprendre sérieusement toutes les matières. Mais aussi la politique et la littérature.

Que faire au sujet des réunions ? Dans l'usine, la cellule tient beaucoup de réunions formelles, sans aucun résultat. (Il faudrait aussi que j’apprenne beaucoup sur l’usine et les gens). Que faire comme activité de l’union de jeunesse ? Il faudra discuter longuement avec mes collègues, les convaincre.

Il faut que je finisse le plan détaillé (de ma vie) jusqu'à la fin du mois, pour pouvoir le commencer au début du mois prochain.

Mais je n’ai pas encore étudié mes défauts, les voilà:


· Je ne sais pas me rapprocher des gens, je dis des vérités blessantes

· Je suis désordonnée, je ne m’occupe pas assez de mes affaires

· Je n’ai pas assez de volonté

· Je crois trop en moi, et d’autres fois trop peu

· Je suis trop insistante et d’autres fois pas assez

· Je marche courbée et je ne fais pas assez de sports

· Paresse : je n’aide pas assez maman

· Je n’aime pas encore la musique ni la peinture, je ne suis pas assez cultivée

· Je ne vis pas assez intensément

· Je ne donne pas assez d’importance aux détails

· Je suis démagogue, souvent je parle en slogans

· Je suis trop curieuse et trop naïve

· Je ne garde pas assez bien les secrets

· Je n’ai pas assez d’attention, de respect pour les autres

· Je suis égoïste surtout dans les petites choses sans grande importance

· Je suis quelquefois trop hautaine ; devant d’autres, trop humble

· Je m’enthousiasme rapidement mais pas durablement, je me désenchante souvent et alors je laisse tomber

· Souvent je me laisse entraîner par d’autres (sur des bons ou mauvais chemins), au lieu de décider moi-même

· L’opinion des autres compte trop pour moi

· Je réponds trop rapidement, en blessant les autres

· Je n’arrive pas à dire promptement des choses intelligentes, je réalise ce que j’aurais dû dire seulement plus tard

· Je ne suis pas encore assez indépendante.

· Je ne suis pas assez persévérante

· Je suis trop douillette, je me laisse trop abattre par la douleur ou la tristesse

· Je ne sais pas bien le roumain; je ne connais pas l’allemand, ni le français ou l’anglais...


[1] Haha, un écrivain écrit, que cela plaise ou non aux autres.

[2] Et avec cela on les obligeait à mentir.


Que j'étais naive à l'époque et ma tête plein des mots d'ordre tout faits! Et en même temps très lucide sur moi et mes possibilités et défaults. J'ai heureusement changé depuis mes dix-huit ans, mais pas tant que ça...

Une croisée de chemin

2 février, 1953

Je suis de nouveau à une croisée des chemins.

Mais commençons par le début. J’ai réussi à entrer finalement à l’Institut de Recherche de Chimie, mais seulement dans la section “Unités Nouvelles”, j’ai travaillé d’abord à la préparation de Toluène puis jusqu’en février, à la section « Herbicides. »

Maintenant, le Ministère veut m’envoyer à Iasi pour l’ouverture de la nouvelle fabrique d’Antibiotiques. Tous me conseillent de ne pas y aller, tous essaient de se dérober.

Si j’agissais d’après ma tête, j’irais; je pourrais apprendre des choses nouvelles, et je serais bien payée. Pourquoi je me laisse tant influencer ? Ne pas y aller ce n’est pas digne du parti ! Peut-être, je serais envoyée à la fabrication de l’Aspirine, à Bucarest. Comment sera-ce là-bas ?

Depuis que je suis sortie du lycée, j’ai appris beaucoup sur la vie, hélas beaucoup de choses qui ne vont pas bien. Mais j’ai aussi mûri. J’ai réussi à m’inscrire à l'Université par Correspondance de Polytechnique, à la section de la Chimie Industrielle. Nous n’assistons pas aux cours réguliers, mais pour certaines matières, le soir après le travail nous avons des travaux dirigés (cette année quatre fois par semaine). J’ai déjà commencé les travaux de laboratoire, je veux les passer vite, j’y vais lundi, jeudi, vendredi soir et samedi.

En plus, le docteur me conseille de faire du sport et je suis allée nager à la piscine couverte des sportifs, j’ai nagé chaque fois 800 mètres, à la deuxième séance on m’a chronométrée: 41” pour 33 m. J’ai appris à plonger, même si je ne saute pas encore très bien et j’ai décidé que dorénavant j’entrerais dans la piscine uniquement en plongeant. Je voudrais aussi skier mais c’est difficile d'y aller à partir de Bucarest, les montagnes sont loin. J’ai aussi commencé à aller à l’opéra et au théâtre.

Il ne me reste que peu de temps pour étudier à la maison, puisque entre temps je travaille entre sept et trois heures (plus une heure pour aller et une pour revenir. Je devrais aussi apprendre l’allemand et lire sur l’histoire des arts. Je désire toujours écrire des pièces de théâtre.

Nous avons besoin de lui!

Nous avons besoin de lui !

4 mars, 1953

Je me suis réveillée ce soir à 11 heures, quand papa disait à maman que Staline était très très malade. Il paraît que d’un coup il a une attaque au cerveau. Il ne faudrait pas qu’il meure. L’humanité a encore besoin de lui! Si vraiment il disparaissait, ce que je n’arrive pas encore à croire, alors je signerais le contrat pour aller à la fabrique d’Antibiotique de Iasi, et je ne vais plus écouter personne. Je ne le veux pas!!! qu’il soit malade. S’il y a une guerre, j’irai au front et je ne vais pas essayer de sauvegarder ma vie en travaillant.

6 4 mars, 1953

Aujourd’hui la radio a annoncé : Staline est mort le 5 mars à 9h 50 du soir.

C’est pas vrai ! Un homme comme lui ne peut pas mourir. Ce qu’il a enseigné et son nom vont encore vivre longtemps. C’est un coup dur.

Sans LUI, une troisième guerre mondiale sera très difficile à surmonter. Savoir qu’il était, donnait déjà un sentiment de sécurité. Nous avions confiance et l’avons cru. Et encore maintenant. Je vais commencer à étudier plus sérieusement ses écrits, et demain, je signerai le contrat pour l’usine d’Antibiotiques de Iasi.

J’ai passé cette journée chez Édith, autrement ça aurait été beaucoup plus difficile. Nous avons pleuré ensemble.

Les impérialistes menacent fort. Ils prédissent une guerre pour bientôt. Au moins s’ils attendaient encore deux ans. Ensuite on les battrait. Mais ça sera très difficile.

IL ne respire plus, mais la vie continue. Difficile à comprendre, mais je le constate. Dans une semaine j’écrirai davantage.

(Qui va lui succéder ? Malenkov ? Molotov ???)

9 mars, 1953

On enterre Staline. Il est déjà arrivé à la place Rouge. Je ne pleure plus. Il ne peut pas mourir. C’est seulement son corps qu’on amène au mausolée à côté de Lénine. Son nom, ses idées, et ses enseignements vont vivre pour toujours. Il est dix heures. Le meeting de Moscou commence.

Malenkov parle de Staline.

Ensuite Beria.

Ensuite Molotov, ému.

MIR ! Paix !


Et des pages vides